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"Midnight Special" : road-trip fantastique sur les pas de Spielberg

Cinéaste américain parmi les plus enthousiasmants de sa génération, Jeff Nichols signe avec "Midnight Special" un film grand public qui oscille entre thriller fantastique et chronique familiale. Comme Steven Spielberg savait en faire jadis.

À en croire Wikipédia, le Midnight Special était "un train de nuit quittant Houston, au Texas, à minuit. Il se dirigeait vers l’Ouest". On n’en saura pas plus. Le "Midnight Special" de Jeff Nichols cultive le même mystère. Lui aussi évolue de nuit, dans ce qu’on imagine être le sud des États-Unis, lui aussi progresse vers une destination indéterminée. Une différence toutefois : l’engin n’est pas un train, mais une voiture.

À bord du bolide roulant tout phare éteint dans la nuit noire : deux hommes et un jeune garçon portant d’étranges lunettes de bain. De ce trio, nous ne savons presque rien sinon qu’il est l’objet d’une chasse à l’homme. Il faudra avaler plusieurs kilomètres de bitume en leur compagnie et un contrôle policier intempestif - qui tournera mal - pour comprendre ce qui lie les protagonistes.

Deux des fuyards sont en fait père et fils. Avec l’aide de son ami d’enfance Lucas (Joel Edgerton), Roy (Michael Shannon) a enlevé son garçon Alton (Jaeden Lieberher) des griffes de fanatiques religieux qui voyaient en lui le prochain Messie. Car, sous ses dehors inoffensifs, le petit bonhomme est doté, nous dit-on, de super-pouvoirs. Affabulation ou réalité ? Là encore, il faudra tout le sens du timing dont fait preuve ici Jeff Nichols pour que le spectateur soit mis devant l’ampleur du phénomène et ne fasse basculer dans le surnaturel ce qu’on pensait n’être qu’un thriller presque entièrement filmé de nuit.

"Midnight Special" ne brouille pas seulement les pistes narratives. Il louvoie aussi entre les styles. Comme ses précédentes productions, le quatrième long-métrage du cinéaste américain de 37 ans est un film de genres - on insiste sur le "s". Science-fiction, épopée fantastique, road-trip nyctalope, chronique familiale… "Midnight Special" n’est ni l’un ni l’autre et tout cela à la fois. S’il fallait choisir, on dira qu’il s’agit d’une œuvre d’auteur grand public. Registre dans lequel Steven Spielberg s’est par le passé si souvent illustré.

Une autre rencontre du troisième type

Jeune réalisateur qui, en trois films seulement, est parvenu à se faire un nom dans le cinéma indépendant, Jeff Nichols signe ici son premier long-métrage avec une major hollywoodienne. En l’occurrence la Warner Bros qui, d’après l’intéressé, lui a laissé une totale liberté dans l’écriture, la mise en scène et le choix de ses comédiens (dont Michael Shannon avec qui il a toujours tourné). Sûrement le studio a-t-il vite détecté dans "Midnight Special" la promesse d’un film capable d’emprunter les voies laissées à l’état de jachère par le créateur d’"E. T.".

Mais plus que les aventures du gentil extra-terrestre réclamant sa "maison", c’est "Rencontre du troisième type" qui fait clairement office de matrice pour "Midnight Special". Les deux films partagent le même goût pour l’énigme et la même faculté à exacerber le dénouement du récit. Sans compter les clins d’œil prodigués çà et là par Jeff Nichols, tel le personnage de scientifique interprété par Adam Driver (vous savez, le méchant dans la nouvelle saga Star Wars), qui renvoie au chercheur Claude Lacombe que jouait François Truffaut dans le film de Steven Spielberg.

Cette idée de filiation, on la retrouve dans l’histoire elle-même. Elle en est l’enjeu majeur, comme dans la plupart des films de Jeff Nichols. Depuis "Shotgun Stories" jusqu’à "Mud" en passant par le sublime "Take Shelter" (l’un des plus grands films sur l’Amérique post-crise de "subprimes"), le cinéaste s’est toujours employé à faire des vicissitudes familiales le nœud de son discours narratif, à ausculter les mouvements opérés par les membres d’une même cellule pour se préserver d’une dislocation imminente.

Avec son dernier opus, Jeff Nichols investit le fantastique pour mieux occuper encore son terrain de prédilection que sont les angoisses sous-tendant les rapports familiaux. Comme toujours dans la science-fiction, le sujet est plus grave qu’il en a l’air. La grande affaire de "Midnight Special" n’est pas seulement liée aux pouvoirs extraordinaires d’un enfant hors norme mais au renoncement que peuvent consentir un père et une mère (ici campée par une touchante Kirsten Dunst) pour le bien de leur progéniture. Une histoire d’amour filiale et prodigieuse qui place définitivement Jeff Nichols parmi les réalisateurs américains les plus enthousiasmants du moment.

-"Midnight Special" de Jeff Nichols, avec Michael Shannon, Kirsten Dunst, Joel Edgerton, Jaeden Lieberher... 1 h 51.