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Salon de l’agriculture : adieu veaux, vaches, cochons...

Malgré la colère et la résignation, les exposants du Salon de l’agriculture ont quitté, dimanche, "la plus grande ferme de France" avec le sentiment d'avoir regagné la confiance d'un grand public qui se montre plus enclin à consommer français.

Désigner le Salon de l’agriculture comme "la plus grande ferme de France" est bien réducteur. Davantage qu’une méga-exploitation, c’est un village français au format XXL qui semble avoir été reconstitué 9 jours durant dans le sud-ouest de Paris. Les quelque 230 000 m2 du Parc des expositions de la porte de Versailles concentrent à eux seuls tout ce qui constitue le décor d’une petite ou moyenne ville de l’Hexagone. Restaurants, bistrots, terrasses, épiceries fines, fast-foods venus des États-Unis, distributeurs automatiques de billets et bureaux de tabac se sont faits une confortable place parmi les incontournables stands où paradent veaux, vaches et cochons de concours.

On trouve donc de tout dans cette foire aux allures de grande fête foraine. Même les choses les plus inattendues pour un rendez-vous censé célébrer la terre : des consoles de jeux vidéo, une tour Eiffel en légumes, des bonbons d’une célèbre marque allemande qu’on image mal venir de l’agriculture biologique, et – comble de l’incongruité pour les citadins de passage – des pigeons en cage.

De fait, si le Salon de l’agriculture ne semble pas à un paradoxe près c’est parce qu’il met à l’honneur un secteur aux multiples facettes. Dans les allées, l’artisanale pose aux côtés de l’agro-alimentaire, ce qui fleure bon le terroir côtoie ce qui reste synonyme de malbouffe. Une cohabitation qui, au quotidien, loin de la grand-messe parisienne annuelle, n’est pas sans créer des tensions.

"Nous restons inquiets pour les semaines à venir"

Les responsables politiques ont pu le constater qui, après le passage mouvementé du président François Hollande lors de l’inauguration de la manifestation le 27 février, se sont succédé au chevet des agriculteurs actuellement confrontés à de graves difficultés financières, notamment dans les filières d’élevage. Pendant une semaine, membres du gouvernement, élus locaux et candidats aux primaires de l'opposition se sont pressés dans les travées du Salon pour écouter les doléances, désigner les coupables ou dévoiler leurs solutions.

Mais, en ce dimanche 6 mars, dernier jour du grand raout agricole, les exposants semblent quelque peu résignés par le défilé des hommes et femmes politiques. "Ils sont tous venus avec de bonnes intentions mais nous restons inquiets pour les semaines à venir", confie Philippe Vasseur, éleveur porcin venu de la Sarthe pour participer à son 16e salon. De mémoire d’exposant, jamais sa filière n’avait connu de crise aussi profonde. La faute, entre autres, à une concurrence accrue au sein de l’Union européenne. "Pour être compétitifs, nous sommes obligés de nous aligner sur des prix qui sont en-deçà de nos prix de revient, explique l’agriculteur sarthois. Sans compter que, dans la filière, des gens se servent sur la bête."

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Outre la régulation du marché européen, les agriculteurs attendent en effet des pouvoirs publics qu’ils encadrent davantage un circuit sur lequel la grande distribution et les sociétés agro-alimentaires font la pluie et le beau temps. "Certains groupes sont devenus trop gros, or ils ne se battent que pour les prix et non plus pour la qualité", déplore François Gauthé, agriculteur de la Nièvre qui affirme rester indifférent au cortège des politiques. "Lorsqu’ils viennent à mon stand, je suis poli mais je ne pense pas qu’ils soient porteurs de solutions. Ce sont les consommateurs qui décideront de la prochaine agriculture", veut croire cet éleveur de vaches charolaises qui, par amour du métier, refuse de partir à la retraite malgré un niveau suffisant de cotisations.

Pour beaucoup, ce 53e Salon de l’agriculture fut surtout une façon de renouer avec le grand public. "Les gens manifestent un vrai besoin de voir le produit, ce qui montre qu’ils sont de plus en plus enclins à acheter français", commente Philippe Vasseur. Même son de cloche chez son confrère nivernais : "Les visiteurs, surtout ceux venant des villes, s’intéressent de plus en plus à ce que l’on fait et reprennent confiance en nous. Salon après salon, on ressent davantage d’empathie. Le public comprend que cela fait 20 ans que les agriculteurs n’utilisent plus d’OGM ou d’engrais chimiques. Et que l’on peut-être responsable sans forcément faire du bio."

"On boit moins mais on boit mieux"

Dans tous les domaines, le besoin de qualité se fait ressentir. Le secteur brassicole en est peut-être l’exemple le plus marquant. Après des années de production moribonde façonnée par les grands groupes, la bière française connaît un renouveau porté par des structures artisanales. "On assiste à ce qui s’est passé avec le vin, il y a 30 ans : on boit moins mais on boit mieux", se félicite Laurent Boiteau, gérant d’une brasserie vendéenne employant 10 personnes.

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De 400 au début des années 2000, le nombre de brasseries artisanales françaises est passé à 800 aujourd’hui. Bien qu’elles ne représentent que 4 % du marché, les PME de la mousse ont su fidéliser un public grâce à l’originalité de leur produit. "Ce qui fait la force de la bière artisanale, c’est sa créativité. Contrairement au vin, nous ne sommes pas coincés par les exigences des appellations d’origine. On peut donc s’amuser avec les goûts, c’est infini !", se réjouit le jeune brasseur dont l’entreprise propose une gamme de 12 saveurs, dont une aux pétales de rose.

Se structurer, c’est ce qui a pourtant permis à nombre de producteurs de se prémunir contre les tempêtes que traversent régulièrement le monde agricole. Grâce à une Appellation d’origine protégée (AOP), le Saint-Nectaire fermier, célèbre fromage d’Auvergne, a pu rester étranger aux affres de la crise laitière. "Même si le prix de notre lait devenait exorbitant, un producteur de Saint-Nectaire ne pourrait pas en acheter ailleurs. Dans notre région, le lait n’est pas délocalisable puisqu’il doit être acheté dans la zone pour bénéficier de l’AOP", explique Vincent Barbry, du syndicat de l’Appellation. Et d’ajouter : "En devenant une économie de terroir, nous avons acquis une force de frappe et une visibilité qui fait que le Saint-Nectaire est connu et reconnu."

Du fromage dans le métro

Peut-être pas encore suffisamment. Pour la durée du salon, l’interprofession s’est offert une campagne publicitaire dont elle n’est pas peu fière : tout un couloir du métro de la porte de Versailles placardé d’affiches vantant le fromage auvergnat. "Ces opérations de communication ramènent du monde, mais cette année l’affluence n’était pas aussi importante que les années précédentes", regrette-on au stand Saint-Nectaire.

Environ 611 000 visiteurs se seront rendus à cette 53e édition contre 691 000 l’an passé. Une baisse de fréquentation que Jean-Luc Poulain, le président du salon, attribue à un contexte post-13-Novembre et à une crise du secteur "qui a fait qu'une partie des agriculteurs ne se sont pas déplacés".

Malgré la colère et le désarroi de la profession, certains ont quitté le salon avec l’assurance que les mentalités sont en train d'évoluer dans le bon sens. "Durant ces 9 jours, je suis allé trois fois dîner dans un restaurant de Paris, indique l’éleveur François Gauthé. Et, à chaque fois, la viande y était bonne. Franchement, c’est rassurant."