Ciudad Juarez a longtemps été considérée comme la ville la plus dangereuse au monde. Guerre entre cartels, trafics de drogue, violence... et féminicides. Ces dernières décennies, des milliers de femmes ont été assassinées. Le corps de certaines a été retrouvé mutilé, enfoui dans le désert. Des crimes jusqu’à présent non élucidés. Nos reporters sont retournés dans cette ville mexicaine, à la rencontre des mères des disparues, qui se battent pour obtenir justice.
À Ciudad Juarez, dans le nord du Mexique, il y a les mères qui cherchent et celles qui vivent leur deuil. Selon les autorités, près de 1 500 femmes ont été assassinées dans la ville depuis le milieu des années 1990. Mais Paula (photo), la mère de Sagrario, assassinée en 1998, est convaincue qu'il y en a eu beaucoup plus. Car quand le phénomène est apparu, vers 1993-1994, les familles, qui avaient souvent peur de dénoncer, quittaient la ville sans demander leur reste... Nombre d'entre elles étaient venues dans cette ville frontalière des États-Unis pour chercher du travail dans les maquiladoras, ces usines où les entreprises, pour la plupart américaines, délocalisaient la fabrication de leurs produits.
Aujourd’hui, cette vague de féminicides n'a plus, dans les médias, la place qu'elle occupait à la fin des années 1990, lorsque les mères de victimes s'étaient rassemblées pour la première fois et avaient commencé à planter des croix de bois rose dans toute la ville, en mémoire de leurs filles. Elles réclamaient une justice que, pour la plupart, elles n'ont jamais obtenue. Pourtant, le problème est loin d'être résolu : depuis le début de l'année, les autorités reconnaissent que huit jeunes filles de plus ont disparu...
Devant la Fiscalía para los Delitos de Género, l'institution judicaire créée spécialement pour enquêter sur les crimes et délits liés au genre de la victime (assassinats de femmes, viols, violences conjugales, attaques contre les homosexuels ou transsexuels), une femme installe une petite table. Elle a amené un gâteau, quelques fourchettes et assiettes en plastique, et convié quelques amis – des proches, des militants des droits de l'Homme et des mères qui ont vécu le même drame qu'elle. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de sa fille, l'une des jeunes filles disparues de Ciudad Juarez. Cette scène est devenue presque banale devant les grilles de la Fiscalía, où sont accrochées de grandes toiles cirées imprimées des visages des jeunes filles encore recherchées.
Le mystère des disparues de Ciudad Juarez n'a jamais été résolu. Les théories se multiplient, les enquêtes se succèdent , mais le mystère reste entier. Ceux qui ont été arrêtés clament leur innocence... Et les commanditaires restent dans la nature.
Dans cette ville où les bars et "table-dance" attirent les Américains en quête de services sexuels moins contrôlés, où les criminels mexicains passent facilement la frontière des États-Unis pour échapper à la justice locale, où il est désormais avéré que les gros bonnets des réseaux de prostitution ont bénéficié de la complicité de la police locale, les jeunes filles continuent de disparaître, une à une, en silence.