
Amine Kessaci (au centre) lors de la campagne des législatives à Marseille, dans le sud de la France, le 7 juillet 2024. © Nicolas Tucat, AFP
Il avait 20 ans, voulait devenir policier et n'avait aucun lien avec la criminalité organisée. Le jeune frère du militant associatif et écologiste marseillais Amine Kessaci a été abattu en plein jour jeudi 13 novembre, selon un mode opératoire couramment utilisé par les narcotraficants.
Il est 14 h 30 lorsqu'une une moto arrive au niveau de la voiture de Mehdi Kessaci qui venait de se garer à proximité du Dôme, la grande salle de concert de la ville, située dans le 4e arrondissement de Marseille. Le passager arrière du deux-roues tire alors à plusieurs reprises avec une arme de poing sur la victime.
Une enquête pour assassinat en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime a été ouverte. Elle a été confiée à la DCOS (ex-police judiciaire). Sur France Info, le procureur Nicolas Bessone a indiqué, vendredi, que l'hypothèse d'un homicide d'avertissement "à ce stade n'est absolument pas exclue".
Si le magistrat a appelé à "la prudence" alors que l'enquête ne fait que commencer, la piste d'un crime destiné à atteindre le militant Amine Kessaci semble crédible. Une organisation mafieuse a-t-elle fini par le considérer comme un obstacle pour ses affaires ? "Tous les six mois, ils mettent la barre un peu plus haut dans l’horreur", souffle un responsable policier marseillais interrogé par Le Monde.
Depuis le mois d’août, Amine Kessaci, âgé de 22 ans, faisait par ailleurs l’objet de menaces et vivait sous protection policière, révèle l'AFP. Le jeune homme aurait également évité de paraître à Marseille ces dernières semaines.
"Si l'hypothèse d'un assassinat d'avertissement, destiné à décourager Amine de son engagement contre le narcotrafic qui gangrène notre ville, était confirmée, nous serions devant un changement de dimension absolument terrifiant, où l'on méprise la vie pour des menaces, de l'argent ou du pouvoir", a déclaré le maire divers gauche Benoît Payan, proche d'Amine Kessaci.
Un leader né
Figure respectée de la société civile, Amine Kessaci, originaire des quartiers Nord, a consacré ces dernières années à lutter contre l'emprise des narcotraficants à Marseille.
Une vocation née d'une autre tragédie : la mort brutale, dans un règlement de comptes, de son grand frère Brahim en 2020, dont le corps criblé de balles a été retrouvé carbonisé dans un véhicule.
Dans la foulée, l'étudiant en droit, passionné de politique, crée l’association Conscience pour aider les familles juridiquement et psychologiquement, mais aussi changer le regard sur ces morts qu’il considère comme des victimes. Son objectif : redonner de la dignité aux familles endeuillées et améliorer les conditions de vie dans les quartiers défavorisés à travers des opérations de nettoyage et des distributions alimentaires.
Conscience, qui compte aujourd'hui une vingtaine d’antennes en France, incite également les habitants des quartiers défavorisés à aller voter lors des élections, mettant à disposition moyens de transports et informations pour se rendre dans le bon bureau de vote.
Son activisme dans la cité Frais-Vallon finit par attirer l'attention du monde politique. En septembre 2021, il a ainsi pu discuter avec Emmanuel Macron lors d'un déplacement présidentiel à Marseille. Le chef de l'État était venu annoncer un grand plan de soutien en faveur de la deuxième ville de France, chiffré à un milliard et demi d’euros.
"Cela ne sert à rien de venir avec un plan élaboré à Paris, dans un avion ou je ne sais où. Il faut que ce plan, vous le construisiez avec nous, les élus locaux, les associations, les familles de victimes", avait-il martelé devant un Emmanuel Macron stupéfait par l'assurance du jeune homme de 17 ans.
Deux ans plus tard, Amine Kessaci arrive en tête du classement des jeunes leaders positifs de Positive Planet. L'organisation internationale de microfinance créée par Jacques Attali salue alors le talent précoce et le courage de celui qui jongle entre ses études et son engagement associatif. Son aura commence à dépasser les frontières de la cité phocéenne. Les médias tombent sous le charme de ce jeune homme brillant à la maturité exceptionnelle. En 2024, il reçoit les honneurs d'un portrait dans le New York Times.
Faire payer "ceux qui ordonnent"
Cette même année, il se lance dans le grand bain de la politique avec des candidatures aux élections européennes et législatives sous l'étiquette d’Europe Écologie-Les Verts, puis du Nouveau Front populaire. Il perd d'une courte tête face à la députée Rassemblement national sortante de la 3e circonscription des Bouches-du Rhône, Gisèle Lelouis.
Cet engagement politique est une évidence pour Amine Kessaci qui, dès l'enfance, préfère regarder les débats parlementaires à la télévision plutôt que des dessins animés. Dès l'âge de 13 ans, il accompagne aux manifestations son père, un mécanicien sans-papier algérien. Ses convictions : la mixité et le vivre-ensemble. Il défend la légalisation du cannabis pour affaiblir le crime organisé et plaide pour le rétablissement de la police de proximité supprimée en 2003.
Le trafic s’est imposé comme "la seule perspective d’avenir offerte à trop de jeunes dans les cités", expliquait Amine Kessaci en octobre à Ici Provence, évoquant une "narcocratie" où "les trafiquants remplacent parfois les institutions".
À la rentrée, il avait publié le livre "Marseille, essuie tes larmes" (Éditions Le Bruit du Monde), une lettre posthume adressée à son frère et un manifeste contre l'engrenage du trafic de drogue. Il y promettait de faire tomber, "ceux qui ordonnent [...] qui paient depuis Dubaï ou ailleurs pour faire tuer".
À Marseille, la criminalité ne cesse de franchir des paliers dans la violence : avant 2020/2021 les victimes étaient bien ancrées dans le narcobanditisme, puis les cibles sont devenues les petites mains du trafic, parfois mineures et touchées à l'aveugle dans des points de deal.
Les auteurs aussi sont de plus en plus jeunes. Il y a un an, un adolescent de 14 ans à peine, recruté pour 50 000 euros, était arrêté après avoir tué un chauffeur VTC et père de famille, avant même d'approcher sa cible initiale. Selon un décompte de l'AFP, 14 personnes ont perdu la vie dans des narchomicides depuis le début de l'année dans les Bouches-du-Rhône.
Avec AFP
