Bourses qui chutent un peu partout dans le monde, croissance déclinante dans les pays émergents et surtout en Chine : 2016 serait l’année d’une crise financière. Mais attention aux conclusions trop hâtives.
La crise financière semble de retour avec pertes et fracas. C’est du moins ce qu’un nombre grandissant de Cassandre de l’économie assurent au fil des dégringolades sur les marchés financiers ces derniers jours.
Vendredi 12 février, la Bourse de Tokyo a perdu 5 % et, en une semaine, la place financière asiatique a chuté de 11 %, sa pire performance depuis octobre 2008. Mais ce n’est pas qu’en Asie, où le ralentissement de la croissance chinoise a l’impact le plus direct, que les indicateurs boursiers sont en berne.
Appel à “tout vendre”
Le CAC 40 français avait ainsi reculé de 4 % mercredi, tandis que ses équivalents allemands et italiens avaient perdu respectivement 3 % et 5,5 %. Aux États-Unis, janvier a été catastrophique - les marchés américains ont connu leur pire début d’année en 120 ans - et février ne commence qu’un peu mieux.
Les investisseurs “vendent sur les marchés des actions [là où sont cotées les entreprises et banques, NDLR], pour placer dans les valeurs refuge comme l’or ou le marché obligataire [essentiellement les dettes souveraines, NDLR]”, explique Pascal de Lima, président du cabinet de conseil Economic-Cell, à France 24.
Les acteurs financiers semblent suivre l’appel à “tout vendre” lancé par les économistes de la banque écossaise RBS, le 8 janvier. Ceux-ci assuraient, dans une note à leurs clients, que 2016 serait une “année cataclysmique” s’ils ne se débarrassaient pas de placements en actions qui devenaient de plus en plus risqués.
Cette grande fuite en avant vers des valeurs qualifiées de sûres n’est pourtant pas encore une situation de crise financière, d’après Pascal de Lima. S'il appartient au clan de plus en plus nombreux des pessimistes, cet économiste français pense qu’il ne s’agit que “de la phase de grippage de l’économie” et que le vrai krach n’interviendra qu’en 2018-2019.
Danger sur les banques
Pour lui, le drame économique en cours se joue en trois actes. Le premier, entre 2012 et 2015, a vu les fondamentaux de la crise se mettre en place. “Il y a eu une explosion de la valorisation des start-up, des actes terroristes qui ont engendré une instabilité politique et économique ainsi qu’une stagnation des salaires”, rappelle Pascal de Lima, qui souligne le parallèle avec la période 2001 à 2006.
La mécanique de la crise se serait ainsi mise en branle dans le deuxième acte. Les investisseurs voient d’un côté la situation économique dans les pays émergents se détériorer et se rendent compte, de l’autre, que la dette privée (ménages et entreprises) dans les pays dits développés a explosé. En Europe, elle équivaut à 122 % du PIB de la zone euro.
Ce dernier point fait craindre aux marchés le retour en force des créances douteuses, c'est-à-dire que les débiteurs auront du mal à rembourser. Les marchés anticipent, en effet, que la banque centrale américaine continue sur sa lancée de hausse progressive des taux débutée fin 2015. Les banques seraient alors obligées de répercuter cette tendance sur leurs crédits accordés, “ce qui risquent de se traduire par une augmentation des impayés”, résume l’économiste français. Impayés qui coûteraient chers aux banques.
C’est l’une des grandes raisons de l’exode actuel vers le marché des dettes souveraines. Les investisseurs se détournent des valeurs bancaires en prévision des jours où les débiteurs ne pourront plus payer. Ce mouvement est particulièrement frappant en Allemagne : la Deutsche Bank a perdu 40 % de sa valeur depuis le début de l’année et l’action de la Commerzbank a chuté de 20 %.
Problème : tous les investisseurs placent leur argent au même endroit, ce qui risque de créer une nouvelle bulle. Lorsqu’elle éclatera, “car les bulles finissent toujours ainsi”, assure Pascal de Lima, il n’y aura alors plus de marché refuge et l’heure de la crise financière aura sonné. Ce serait alors l'acte final.
Il faut savoir raison gardée ?
Ce scénario catastrophe n’est pas du goût de tous les observateurs. Les optimistes ont beau se faire de plus en plus rares, ils n'en sont pas moins influents. Ainsi, le célèbre gestionnaire de fonds John Paulson, qui s’est enrichi en anticipant la crise des subprimes en 2008, assure qu’il n’y a pas de crise financière à l’horizon. Les marchés “surréagissent à quelques indicateurs, sans regarder les performances réelles de la plupart des entreprises”, assure-t-il. En clair, obnubilés par les surévaluations dans le secteur des nouvelles technologies et par l’atterrissage plus ou moins en douceur de l’économie chinoise, les investisseurs ne voient pas les bonnes performances d’un grand nombre d’entreprises. Il suffirait, d’après lui, d’attendre que les acteurs des marchés financiers reprennent leurs esprits.
Un point de vue partagée par Peter J. Wallison, ancien conseiller juridique de l’ex-Président américain Ronald Reagan et membre du cercle de réflexion libéral American Entreprise Institute. Pour lui, le parallèle avec 2008 ne tient pas car à l’époque, la crise des subprimes avait frappé directement quelques grandes institutions financières (Lehmann Brothers, Morgan Stanley etc.) qui détenaient ses fameux crédits hypothécaires en trop grand nombre.
Cette fois-ci, les grands groupes auraient pris soin de ne pas être ainsi exposés aux actifs les plus douteux. “Les pertes actuelles sur les marchés financiers affectent surtout des millions d’investisseurs privés et de petits fonds de gestion”, explique ce financier au magazine américain “Fortune”. Aucune institution systémique - c’est-à-dire dont la chute affecterait tout le système financier - ne serait en danger, d’après lui.