
Le général Jean-Claude Lafourcade, qui a été entendu en janvier comme témoin assisté par un juge sur le rôle et l'attitude de la force française Turquoise lors du génocide de 1994 au Rwanda, a pris fait et cause pour l'armée française.
L'armée française a-t-elle sciemment abandonné aux génocidaires hutus des centaines de Tutsis dans les collines de Bisesero, du 27 au 30 juin 1994 ? C'est la question à laquelle le général Jean-Claude Lafourcade, chef de la force Turquoise déployée au Rwanda en 1994, a dû répondre lorsqu'il a été entendu par un juge en janvier pour son rôle et celui de l'armée française lors du génocide des Tutsis.
Si le chef français a défendu la mission française sous le statut de témoin assisté, plusieurs rescapés, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et l'association Survie affirment que les militaires français ont promis aux Tutsis de Bisesero de les secourir le 27 juin 1994 pour ne le faire que trois jours plus tard. Soixante-douze heures au cours desquelles des centaines d'entre eux ont été pourchassés et massacrés.
Ils ont demandé fin novembre la mise en examen pour complicité de génocide de deux officiers, Jacques Rosier et Marin Gillier. Mais ils s'interrogent aussi sur la responsabilité de leur supérieur, le général Lafourcade, patron de Turquoise déployée à partir du 22 juin, alors que le génocide est en cours depuis deux mois et demi, avec pour mission de l'ONU de mettre fin aux massacres, "éventuellement en utilisant la force".
"Une sous-estimation générale"
Lafourcade invoque le "caractère subjectif et personnel de cet écrit". "La difficulté que nous avons eue en arrivant au Rwanda était de faire comprendre aux Forces armées rwandaises (FAR) que nous ne venions pas les aider", a expliqué le général Lafourcade au juge. Elles "nous ont accueillis en sauveurs dès que nous sommes arrivés" puisque la France avait "techniquement coopéré avec eux contre les attaques du Front patriotique rwandais (FPR) pendant des années".
Selon lui, "il a fallu un certain temps pour comprendre la réalité du génocide en constatant [...] la présence des charniers, des villages brûlés". Il y a eu "une sous-estimation générale, française et internationale, sur l'implication des autorités civiles et administratives dans le génocide". Dans ce contexte, il conteste avoir failli à Bisesero.
"Nous étions bien seuls"
À la question : pourquoi ne pas monter une mission de reconnaissance immédiate pour en avoir le cœur net ? Le général argue de la faiblesse des effectifs, "120 ou 130 hommes en tout". Refusant d'"engager inconsidérément des patrouilles à l'intérieur du Rwanda" pour éviter la mort de soldats et un traumatisme tel que celui vécu par les Américains en Somalie, il se rappelle avoir "attendu de disposer des moyens nécessaires en poursuivant les reconnaissances, ce qui a pris deux jours de plus". "Je ne peux que regretter la mort des Tutsis qui a pu intervenir pendant ces deux jours", poursuit le général. Et de relever: "Nous étions bien seuls."
Selon son avocat Pierre-Olivier Lambert, sollicité par l'AFP, le général est "très satisfait d'avoir pu enfin apporter son témoignage [...] ainsi qu'il le demandait depuis de nombreuses années".
Avec AFP