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Station-service fantôme, moutons italiens... Les projets fous du Pentagone en Afghanistan

Le département américain de la Défense a été accusé, mercredi, d’avoir dépensé 800 millions de dollars d’argent public en Afghanistan à tort et à travers. Une aide à la reconstruction qui nuirait à la crédibilité des États-Unis.

De l’argent jeté par la fenêtre , et pas qu’un peu. Le Pentagone a été accusé, mercredi 20 janvier, d’avoir dépensé plus de 800 millions de dollars en effort de reconstruction en Afghanistan pour rien, ou presque. Pire, John Sopko, l’Inspecteur général spécial qui s'est penché sur cette question, a dénoncé devant le Sénat d’importantes “erreurs de jugement” qui ont coûté très cher aux contribuables américains et aux Afghans.

Le courroux de ce haut fonctionnaire est dirigé contre la “force opérationnelle” du département américain de la Défense chargé du soutien économique à l’Afghanistan (TFBSO). Cette division du Pentagone a été dissoute en mars 2015 après près de neuf ans de services d’une qualité aujourd’hui très controversée.

Ont-ils mangé les moutons italiens ?

Plusieurs chantiers de la TFBSO illustrent l’incompréhension des besoins locaux et des “graves problèmes de gestion”, d’après John Sopko. Il en va ainsi de la construction à Sheberghan (nord du pays) d’une station-service délivrant du gaz naturel. Ce projet de 43 millions de dollars d’après l’inspecteur général (seulement 5 millions de dollars d’après le Pentagone) n’avait aucune chance d’aboutir : le salaire annuel moyen d’un Afghan est inférieur au coût nécessaire pour transformer une voiture à essence en véhicule roulant au gaz naturel. Personne, ou presque, ne vient donc faire le plein dans cette station flambant neuve.

Le Pentagone a aussi dépensé plus de 6 millions de dollars pour importer d’Italie neuf moutons blonds et construire une ferme afin de favoriser l’industrie du cachemire en Afghanistan. Mais, il semblerait que l’armée américaine se soit désintéressée du projet une fois le chèque signé. Personne ne sait ce qu’est devenue cette ferme ou si “les moutons en question n’ont pas été mangés”, regrette John Sopko.

La “force opérationnelle” économique américaine voulait également établir une Silicon Valley dans la ville d’Hérat (ouest). Le Pentagone a englouti 46,8 millions de dollars dans un projet d’incubateur de start-up qui n’a jamais incubé quoi que ce soit et a été abandonné, souligne l’inspecteur général américain.

Il dresse, en fait, une liste d’une trentaine de projets soutenus par les militaires américains dont aucun ne trouve grâce à ses yeux. Le Pentagone conteste les conclusions de John Sokpo et l’accuse d’avoir surévalué le coût de certains projets pour que l’impact médiatique soit plus important. Les rapports entre l’inspecteur général et le personnel de la TFBSO ont souvent été décrits par la presse américaine comme très mauvais et non dénués d’arrière-pensées politiques.

“Une grave perte pour les Afghans”

Mais John Sokpo n’est pas le seul à remettre en cause la manière dont le Pentagone a dépensé les deniers publics à l’étranger. Déjà en 2006, cette “force opérationnelle”, alors chargée d’aider à la reconstruction de l’Irak, était accusée de payer sans reflechir pour des projets qui n’ont rien apporté aux Irakiens. Depuis son arrivée en Afghanistan en 2009, cette division du Pentagone “dépense d’abord avant de vraiment reflechir à l’opportunité de le faire”, regrette Stephen Carter, responsable des campagnes Afghanistan pour l’ONG Global Witness.

Pour cet activiste, les errements du bras économique du Pentagone illustrent les défauts de l’aide à la reconstruction de Washington en Afghanistan (environ 110 milliards de dollars dépensés au fil des ans). “Les États-Unis se trompent de priorité et devraient faire davantage pour les infrastructures et la bonne gouvernance en Afghanistan”, estime cet expert.

Les différents projets mis en place pourraient être intéressants, regrette Stephen Carter, mais n’auraient aucune chance de réussir à cause du mauvais état des routes ou des réseaux électriques et des dysfonctionnements des autorités locales.

Si le Sénat américain a, en écho aux critiques de John Sopko, dénoncé un gâchis de l’argent public, Stephen Carter juge que c’est surtout “une grave perte pour les Afghans”. “Ces mauvais investissements sont autant d’opportunités ratées qui ne se représenteront pas et vont manquer à l’économie afghane”, assure-t-il.

Cette tendance à dépenser d’abord, réflechir ensuite crée aussi un climat propice à la corruption. Global Witness n’a pas constaté de cas de corruption liés aux projets du Pentagone en Afghanistan, mais Stephen Carter souligne que des mannes d’argent qui tombent du ciel risquent souvent d’attirer des profiteurs sans scrupules.

L’aide à la reconstruction de la TFBSO n’a donc pas seulement été inutile. “Les Afghans constatent les échecs ce qui nuit à la crédibilité des États-Unis dans le pays”, résume Stephen Carter. Le risque, finalement, est que la population se détourne de tout ce que représente les États-Unis et leur soutien et fasse le jeu du camp adverse… c’est-à-dire les Taliban.