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Érythrée : "La politique préférentielle de l'Europe gonfle les chiffres de la migration"

Les Érythréens sont près de 5 000 à fuir leur pays chaque mois. Ils constituent, avec les Syriens, le contingent le plus important de migrants en Europe. Entretien exclusif avec l’ambassadrice d’Érythrée en France, Hanna Simon.

Les Érythréens pourraient juste chercher une vie meilleure. Mais l’Érythrée n’est pas seulement un pays en voie de développement, dont le PIB est classé au 168e rang mondial (sur plus de 220). C’est aussi l’un des pays les plus fermés au monde, tenu d’une main de fer par Issayas Afeworki, ancien héros de la guerre d’indépendance contre l’Éthiopie, obtenue en 1993. L'Érythrée n'a ni opposition, ni presse libre, ni Constitution et n'a jamais connu d'élections.

Les rapports alarmants se succèdent, dénonçant détentions arbitraires, tortures, surveillance de masse de la population ou répression systématique de toute contestation… Dans ces conditions, pour une bonne partie de la jeunesse, la seule échappatoire est de fuir. Ils sont 5 000 à quitter le pays tous les mois – sur 6 millions d’habitants – selon les chiffres de l’ONU. Des chiffres artificiellement gonflés, selon Hanna Simon, ambassadrice de France en Érythrée. "Avec la pauvreté et la guerre, il y a une politique préférentielle de quelques pays européens en matière de migration à l’égard des Érythréens ; donc beaucoup de migrants d’Afrique sub-saharienne disent qu’ils viennent d’Érythrée, faisant gonfler les chiffres", explique-t-elle.

Selon la diplomate, les problèmes de l'Érythrée découlent de la guerre avec l'Éthiopie qui a couté la vie à 100 000 jeunes entre 1998 et 2000. Seize ans plus tard, et malgré un accord de paix, le contentieux autour des frontières n'est toujours pas réglé. L'Éthiopie ne s'est pas retirée des lieux placés en territoire érythréen par une commission internationale indépendante. Et cela ne mobilise pas. "La communauté internationale a plus intérêt à satisfaire l’Éthiopie. C’est la loi de la jungle parce que les plus forts ont toujours raison contre les petits pays", regrette Hanna Simon.

Dans un tel contexte, c’est la "sécurité nationale" qui prime, insiste la diplomate qui juge que "la situation d’urgence n’a pas permis de faire des élections" et ne permet toujours pas d’en envisager l’organisation. Hanna Simon dément par ailleurs les accusations des ONG, à l’instar d’Amnesty international, qui estiment qu'il y a "au moins 10 000" prisonniers politiques "détenus sans inculpation, sans jugement et sans contact avec leurs familles" dans les geôles du petit État. "Il y a des prisonniers comme partout mais pas de prisonniers politiques en Érythrée. Il y a des prisonniers de sécurité nationale, dans une situation de guerre", poursuit l’ambassadrice.

Sans surprise, ses propos, aussi bien sur l'exode qui touche son pays que sur les prisonniers politiques ou les élections, suivent à la lettre la ligne officielle du régime d'Asmara. Et contredisent des témoignages terrifiants notamment recueillis par Amnesty Internationale de migrants, préférant un exode à haut risque à la vie en Érythrée.