
Un an après les attentats de janvier 2015, des centaines de mosquées ouvrent leurs portes en France pour promouvoir un islam de "concorde". Reportage à Puteaux, en Île-de-France, où on se targue d'avoir fait du "vivre ensemble" une réalité.
"J’espère que vous êtes venus avec des bougies, car nous n’avons toujours pas l’électricité", plaisante Mohamed el-Madani en accueillant les visiteurs au 32 de la rue Saulnier, à Puteaux. C’est ici que se dressent les cinq étages de la mosquée de cette riche commune des Hauts-de-Seine, en région parisienne. Ou plutôt, devrait-on dire, de la future mosquée. Car, contrairement à ce que sa façade flambant neuve pourrait laisser croire, l’établissement est encore en chantier.
À l’intérieur, rien ne vient indiquer qu’il s’agit ici d’un lieu de culte en devenir : le sol, nu, arbore le gris du ciment et les murs la rugosité des parpaings. Un décor dénudé que l’on peut voir depuis la rue puisque le bâtiment, dont l'accès est protégé par une barrière de chantier métallique, n’a toujours pas de porte d’entrée. Détail amusant pour une mosquée qui participe à l’opération portes ouvertes que le Conseil français du culte musulman (CFCM) a lancée ces 9 et 10 janvier pour promouvoir un islam de "concorde" dans une France frappée par les attentats jihadistes de janvier et novembre 2015.
"C’est aussi la symbolique qui est importante"
"En ouvrant la porte des mosquées à tout le monde, croyants ou non, nous souhaitons créer un espace convivial de dialogue avec les fidèles et l’ensemble de nos concitoyens, loin des préjugés, des peurs et des clichés qui ont malheureusement été colportés après les attentats", affirme Anouar Kbibech, président de CFCM, qui a fait le déplacement jusqu’à Puteaux samedi. Mais plus que le dialogue, c’est la transparence qui semble avoir présidé à la création de l’opération. Alors que la France vient de traverser une série d’attentats jihadistes meurtriers, nombreux sont ceux qui, parmi les musulmans, estiment que c’est en faisant preuve d’ouverture qu’ils pourront battre en brèche amalgames, stigmatisations et discriminations. "Les mosquées sont ouvertes toute l’année, mais c’est aussi la symbolique de l’initiative qui est importante", ajoute Anouar Kbibech.
Toutes les mosquées de France ne participent cependant pas à cette manifestation basée sur le volontariat. Plusieurs lieux de culte de la région parisienne n’étaient même pas au courant de son existence. Sur le site internet du CFCM, visiblement délaissé depuis février 2015, ne figure aucune annonce de l’événement ni aucune liste des mosquées participantes. Reste qu’une telle initiative demeure inédite en France où les instances représentatives de la deuxième religion de l’Hexagone peinent à parler d’une même voix. Soucieux de réorganiser la représentation de l’islam de France, le gouvernement semble en tous cas encourager ce genre d’opération. Samedi après-midi, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, également en charge des Cultes, s’est ainsi rendu à la mosquée de Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), inaugurée en mai 2015, après huit années de travaux.
Souci de pédagogie
À Puteaux, bien malin celui qui saura dire combien d’années encore les fidèles devront attendre avant de prendre possession de leur futur lieu de culte. "Nous avons besoin de 2,5 millions d’euros pour achever les travaux", estime Lahssen Baba, président de l’Association solidarité islamique de Puteaux (Asip) qui gère la mosquée. En attendant, les musulmans de la commune se retrouvent pour la prière sous un chapiteau installé temporairement à La Défense, le quartier d’affaires situé à un jet de pierre de la coquette ville francilienne.
Ce samedi, c’est donc avec un certain sens de la projection que les hôtes sont invités à parcourir les lieux. Mohamed el-Madani, membre actif de l’Asip, assure la visite guidée dans des espaces vides : "Ici se tiendra une salle de prière, plus loin se trouveront les salles de classe", indique-t-il au premier étage. "Pour y enseigner quoi ?", interroge une visiteuse. "Les enfants y apprendront l’arabe. Pour lire le Coran, que nous considérons comme un livre sacré, c’est mieux de connaître la langue dans laquelle il a été rédigé et éviter ainsi ses mauvaises interprétations", répond le guide dans un souci de pédagogie.
>> À voir sur France 24 : Inquiets, les Américains musulmans appellent au dialogue
Mieux connaître la liturgie de l’islam, c’est ce qu’est venu chercher Jeanne Gleze en ce jour d’opération "portes ouvertes". "Je suis responsable de l’aumônerie chrétienne de l’hôpital de Puteaux, où le service des soins palliatifs accueillent de nombreux musulmans. Certains me demandent parfois de prier avec eux mais je ne sais pas comment faire. J’avais un peu besoin d’une formation", confie-t-elle. Marie Le Bossé, elle, est venue par hasard. C’est en passant devant le bâtiment où un stand de thé a été installé pour l’occasion que cette riveraine de 33 ans a découvert l’opération. "J’habite cette rue depuis deux ans, je savais qu’il s’agissait d’une mosquée mais n’avais jamais osé entrer car elle est en construction, assure-t-elle pendant la visite qu’elle effectue en tenue de joggeuse. C’est convivial. Dans ce quartier, tout le monde se mélange, et il n’y a pas d’a priori."
Le presbytère d’en face
Deux des trois prêtres qui officient à Puteaux sont eux aussi venus en voisins. Le presbytère est situé juste en face de la future mosquée. "Après les attentats, des craintes concernant l’islam se sont exprimées dans notre paroisse. Mais elles sont dues à la méconnaissance de l’autre, il est donc important de participer à ces manifestations et d’en parler autour de nous", affirme le père Maurice Autamé. Les deux curés n’ont toutefois pas attendu les tragiques événements de 2015 pour nouer des liens avec la communauté musulmane voisine.
À Puteaux, on se targue d’avoir toujours su entretenir le "vivre-ensemble". Depuis plusieurs années, les différents cultes de la commune organisent régulièrement des dialogues interreligieux. La prochaine réunion aura lieu le 26 janvier sous le chapiteau de La Défense. "Certains d’entre nous sont allés à Lourdes. Moi-même, j’ai participé à un voyage à Auschwitz", lance Mohamed el-Madani. "Nous, on est ‘open’, répète-t-il à l’envi. On n’a pas attendu les attentats pour engager le dialogue. Ce ne sont pas ces événements qui vont nous rapprocher ou nous éloigner. Je viens d’une ville d’Auvergne où, après le 13-Novembre, des habitants ont déposé une tête de cochon devant la mosquée. À Puteaux, nous n’avons jamais eu de problèmes. Je suis conscient que nous sommes privilégiés."