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Ouverture du procès de Gülen, le faiseur de roi devenu ennemi d’État

Mercredi s'ouvre en Turquie le procès de l'influent imam Fethullah Gülen. Ce prédicateur exilé aux États-Unis est passé en deux ans du statut d'allié privilégié à celui d'ennemi juré du président Recep Tayyip Erdogan.

C'est un retentissant procès qui s'ouvre, mercredi 6 janvier, à Istanbul. L'imam Fethullah Gülen, ex-allié privilégié du président turc Recep Tayyip Erdogan, devenu sa bête noire, est accusé d’être à l’origine d'un scandale de corruption ayant ébranlé le régime fin 2013.

Âgé de 74 ans et exilé depuis 15 ans aux États-Unis, Fethullah Gülen est jugé par contumace, en même temps que des dizaines de policiers, pour "constitution d'une organisation terroriste" et "tentative de coup d'État". Ce procès s'inscrit dans le cadre d'une guerre ouverte livrée par le chef de l’AKP (le Parti de la justice et du développement d'Erdogan) à l’influent imam. Deux ans après, le président turc ne digère toujours pas l'affaire dite des "écoutes téléphoniques", qui a largement éclaboussé son gouvernement et son propre fils, Bilal. Recep Tayyip Erdogan est en effet convaincu que Fethullah Gülen, qui l'a aidé à asseoir son emprise sur la Turquie, est derrière l'éclatement de cette affaire.

En deux ans, le faiseur de roi est tombé en disgrâce, subissant de plein fouet ce qu’il considère comme la "dérive autoritaire du régime de l’AKP".

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Ouverture du procès de Gülen, le faiseur de roi devenu ennemi d’État

"Se déplacer sans se faire remarquer"

Ce n’est pas la première fois que Fethullah Gülen est poursuivi dans une affaire aux dimensions nationales. En 2000, il avait été accusé de diriger une opération clandestine portant atteinte à l’intégrité de l’État turc, alors contrôlé par les laïcs alliés à l’armée. L’accusation s’appuyait sur une vidéo parue un an auparavant dans laquelle l’intéressé conseillait à ses fidèles : "Déplacez-vous dans les artères du système sans vous faire remarquer, jusqu’à atteindre tous les centres du pouvoir. […] Attendez le moment où vous détiendrez tout le pouvoir de l’État, où vous aurez rallié à votre cause tout le pouvoir des institutions constitutionnelles de Turquie." Fethullah Gülen, qui avait affirmé que la vidéo était un faux, a été relaxé dans cette affaire quelques années plus tard.

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Dans les faits, pourtant, cette stratégie pourrait bien être celle de Gülen, qui se distingue autant par son bras long que par son côté discret voire mystérieux.

Peu d’éléments ont été rendus publics sur le parcours de cet homme originaire du nord-est de l’Anatolie. De son enfance, à peine sait-on que ce fils d’un imam et d’une aide-soignante a découvert sa vocation pour la prédication à l’âge de 14 ans, lorsqu’il a donné son premier prêche.

L'empire Gülen

Il est le fondateur du mouvement Gülen (aussi appelé mouvement Hizmet, qui signifie "service"), dont les partisans sont très présents dans la police et la magistrature turques. Cette organisation, tantôt qualifiée de secte, de confrérie ou de lobby, prône la croyance dans la science, le dialogue interreligieux et la défense de la démocratie et se vante d’avoir des millions de sympathisants à travers le monde.

Le mouvement a bâti un réseau éducatif international de milliers d'établissements, à travers le monde, y compris en France. Il compte des hôpitaux, des magazines, une chaîne de télévision et des radios, une banque, une compagnie d'assurances, des maisons d'édition, des organisations philanthropiques, des centres culturels... Les médias dont il est propriétaire en Turquie sont régulièrement visés par la justice d’Ankara.

La confrérie, qui se targue d’avoir le soutien de 10 % de la population turque, possède également sa propre organisation patronale, Tuskon, ainsi qu’un réseau social, ce qui lui a valu l’appellation de "néo-confrérie".

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"Le mouvement Gülen a accompli en moins de quarante ans en Turquie ce qui a pris un siècle et demi aux mormons aux États-Unis. Comment ? Mystère", notait en 2014 le sociologue américain Joshua Hendrick., cité par L’Express.

Malgré cet empire, Fethullah Gülen est décrit par ses partisans comme quelqu’un de "simple". Dans sa propriété de Pennsylvanie, le vieillard à l’état de santé fragile reçoit régulièrement des délégations de "gülénistes" venus lui témoigner leur admiration. Selon certains d’entre eux, rencontrés par France 24, l’homme vivrait dans la sobriété et le recueillement, dormant dans une chambre sommaire de quelques mètres carrés.

Un penseur à l’écho mondial

Affaibli et éloigné de son pays natal, ce penseur néolibéral et nationaliste continue de fait d’enregistrer des sermons qu’il diffuse sur Internet. En 2008, il est décoré "penseur mondial de l’année" par le magazine Foreign Policy. En 2013, il figure dans le classement des 100 personnes les plus influentes du monde établi par le magazine Time.

En décembre dernier, Fethullah Gülen a rédigé une tribune, publiée dans Le Monde, dans le sillage des attentats du 13 novembre en France. "Nous [les musulmans, NDLR] devons nous attaquer aux vraies questions : le fait que nos communautés servent de terrain de recrutement pour des groupes animés par une pensée totalitaire est-il la conséquence d’un autoritarisme méconnu en nous-mêmes, de la violence physique domestique, du fait de négliger la jeunesse, de l’absence d’une éducation équilibrée ?", y écrit-il sous la forme d’une autocritique acerbe.

L'écho international de la voix du vieux penseur agace au plus haut point le président Erdogan. À chacune de ses sorties, celui-ci ne manque pas d’accuser la nébuleuse Gülen de tous les maux et promet de causer sa perte. "Les chefs de ce gang et tous les autres seront livrés à la justice", a-t-il encore promis ces derniers jours. "Qu'il vienne en Turquie et se présente devant le tribunal", a exhorté il y a deux semaines le ministre turc de la Justice Bekir Bozdag.

Malgré ses demandes, le gouvernement turc a jusque-là échoué à obtenir l'extradition de l’insaisissable Fethullah Gülen et vient de porter plainte contre lui devant la justice américaine.