Une enquête du journal "Le Monde" permet d’entrevoir les liens entre Jawad Bendaoud et les trois terroristes qu’il a hébergé dans la nuit du 17 novembre, Abdelhamid Abaaoud, Hasna Aït Boulahcen et un troisième homme non identifié.
Un mois et demi après les attentats du 13 novembre, on en sait davantage sur Jawad Bendaoud, le "logeur" de Saint-Denis mis en examen pour association de malfaiteurs criminelle en relation avec une entreprise terroriste, après avoir passé six jours en garde à vue, une durée exceptionnelle. "Le Monde", qui a eu accès à certaines pièces du dossier, livre mercredi 23 décembre les premiers éléments de l’instruction.
Il avait été arrêté au petit matin du 18 novembre, à Saint-Denis, à proximité immédiate de l'appartement de la rue Corbillon, dont le Raid faisait le siège depuis près de trois heures pour déloger trois individus en lien avec les attaques du 13 novembre : le cerveau présumé de l’opération Abdelhamid Abaaoud, sa cousine Hasna Aït Boulahcen, et un troisième homme non identifié, tous morts dans l'opération. S’exprimant sur BFMTV juste avant d’être embarqué par la police, il a fait rire la France entière en déclarant, ingénu : "J’étais pas au courant que c’était des terroristes, moi. (…) Si je savais, vous croyez que je les aurais hébergés ?"
Des propos qui, au-delà de leur apparente naïveté, ont laissé sceptiques les enquêteurs. Le procureur de Paris, François Molins, a d’ailleurs jugé que Jawad Bendaoud, qui a lui-même accueilli les terroristes le 17 novembre vers 22 h 45, "ne pouvait douter [...] qu'il prenait part en connaissance de cause à une organisation terroriste".
Appât du gain
Selon Soren Seelow et Emeline Cazi, les deux journalistes qui ont eu accès au dossier, la ligne de défense de Jawad Bendaoud est restée la même. L’homme de 29 ans, déjà condamné en 2008 à huit ans de prison pour "coups mortels", affirme n’avoir hébergé les trois individus que pour "l’argent". Une combine habituelle pour lui, qui loge "migrants, proxénètes ou dealers" pour 50 euros par personnes, écrit le "Monde".
Tout juste admet-il finalement avoir "douté" face aux enquêteurs, ce que l’examen de ses données téléphoniques confirme. Alors que l’assaut du Raid est en cours, le matin du 18 novembre, sa petite amie lui envoie ainsi deux : "Je m’en doutais putain" puis "Je te l’avais dit en plus, c’est chelou". Ce à quoi Jawad Bendaoud répond : "Les mecs ils viennent de Belgique, ils me demandent de quel côté on fait la prière, ils me disent on est fatigué, on veut dormir, on a passé trois jours de fils de pute, 150 euros pour trois jours, pourquoi ils ont pas été à l’hôtel ? (…) Vazy même moi j’ai trouvé ça suspect les mecs…"
"Le Monde" dévoile également les soupçons de radicalisation qui pèsent - ou ont pesé - sur le jeune marchand de sommeil. Ce dernier a en effet reconnu avoir regardé, lors de son séjour en prison, des vidéos d’Abdelhamid Abaaoud, qu’il affirme toutefois ne pas avoir reconnu. "Vous croyez que je lui aurais loué mon appartement si je l’avais reconnu ?" Quant à Mohamed Merah, si Jawad Bendaoud a pu "laisser entendre qu’il pourrait s’inspirer (de ses) meurtres", écrit "Le Monde", "tout est sorti de (sa) tête" une fois la liberté recouvrée.
Le deuxième suspect
L’enquête du "Monde" fait la part belle à une relation de Jawad Bendaoud, Mohamed S., 25 ans. L’homme est soupçonné d’avoir fait l’intermédiaire entre le marchand de sommeil et Hasna Aït Boulahcen. Il est également incarcéré et a été mis en examen sous le même chef d’accusation d’association de malfaiteurs criminelle en relation avec une entreprise terroriste. Il est soupçonné d’en avoir su davantage au sujet des terroristes hébergés qu’il ne veut bien l’admettre.
Les données émises par son téléphone permettent en effet de le localiser allée Vauban, à Châtillon, dans la nuit du 13 au 14 novembre et surtout au même moment que celui de Salah Abdeslam, l'un des terroristes encore recherché. En outre, il reçoit le 17 novembre, avant l’arrivée des trois terroristes rue du Corbillon, un message texte d’Hasna Aït Boulahcen : "Toute la cité m’a appelé. (…) Ils ont vu à la télé, ils m’ont appelé tous (…) Aujourd’hui, ce que tu as fait, la vie de ma mère, tu es un bon."
Mohamed S. et la cousine d’Abdelhamid Abaoud échangent ensuite plusieurs messages, plus tard dans la journée. "Tu sais très bien ce qui se passe", intime-t-elle notamment, affirmant avoir "Les Feux de l’amour". "T’as compris quand je te dis Les Feux de l’amour ?", insiste-t-elle. Mohamed S. a affirmé aux enquêteurs n’avoir pas décrypté ce message codé.
Lui et Jawad Bendaoud se sont rencontrés alors qu’ils étaient tous deux derrière les barreaux, en 2011. Ils entretiennent un rapport compliqué, à base de dette non remboursée et de "coup de crosse de revolver", écrit "Le Monde". Ce qui ne les a pas empêcher de collaborer pour empocher, ce 17 novembre… 150 euros.