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Une ex-star de la radio syrienne réfugiée à Washington

Correspondante à Washington – A la suite des attaques terroristes de Paris, les députés américains ont adopté une mesure visant à suspendre l'accueil des Syriens et Irakiens aux États-Unis. Le Sénat doit bientôt se prononcer. Rencontre avec une Syrienne accueillie en 2012.

Quelques millions de Syriens étaient fidèles à son émission de radio pendant des années. Aujourd’hui, Honey (miel en anglais) al-Sayed, une Syrienne au sourire chaleureux mais au regard empli d’angoisse, suit les nouvelles de son pays depuis Washington, la capitale américaine. Elle fait partie des quelque deux mille réfugiés syriens accueillis aux États-Unis depuis mars 2012. Honey a encore du mal à réaliser.

Née à Damas, dans une famille de commerçants musulmans, elle grandit en partie au Koweït puis étudie en Égypte et au Liban. En 2000, la vingtaine et des idées plein la tête, la jeune diplômée en communication revient dans son pays natal, bercée par ses souvenirs d’enfance : "Pour moi, la Syrie avait quelque chose de magique. Une fois adulte, l’expérience est différente mais j’ai appris à m’adapter", confie-t-elle.

En 2005, alors que le régime consent à libéraliser un peu les médias, la jeune femme est embauchée sur la première radio indépendante, "Al Madina FM ". "C’était historique !" se rappelle t-elle. Elle crée l’émission "Good morning Syria", inspirée par le film américain "Good morning Vietnam". Tous les matins, la pétillante journaliste oscille en direct entre DJ et chroniqueuse, en "arabglish", mélange d’arabe et d’anglais. Elle peut parler de tout sauf de politique mais s’autorise quelques piques sur la corruption. Honey brise de nombreux tabous sociaux, parle des problèmes économiques des jeunes, du droit des femmes et aborde même des questions sexuelles. Son ouverture d’esprit et son culot ne plaisent pas à tout le monde. Elle est rappelée à l’ordre plusieurs fois mais ça ne va jamais plus loin.

Fuir la machine de propagande

Les choses changent lorsqu’éclatent les premières manifestations anti-Assad début 2011. "Je savais que la répression serait violente", dit-elle. Tous les médias sont soumis à la propagande du régime. Honey tente de résister et de conserver une certaine liberté de parole. Elle ignore les "encouragements" à rejoindre les rassemblements pro-régime. Lorsque la pression est trop forte, elle va acheter un sandwich dans les environs pour faire une apparition.

"Je ne voulais pas être porte-parole du régime", explique-t-elle aujourd’hui. Elle se sait surveillée par les autorités, ses "performances" ne plaisent pas. Elle se sent également menacée par des rebelles qui se mettent à kidnapper, parfois tuer, les figures médiatiques pro-régime. Toute prise de parole lui aurait causé des problèmes, confie-t-elle, les larmes aux yeux.

Elle décide de quitter la Syrie en janvier 2012, profitant d’un visa encore valable pour les États-Unis (elle y avait été invitée lors de colloques). Seule sa famille proche est au courant, ses amis et ses auditeurs pensent qu’elle va participer à une conférence. Ses derniers mots au micro, la gorge nouée, sont "à bientôt".

L’exil est difficile. Elle est seule, avec très peu de ressources. La tête toujours à Damas, Honey a co-fondé la radio en ligne indépendante "SouriaLi" ("Notre Syrie") et travaille comme consultante média. Elle a du mal à se défaire d’un sentiment de culpabilité. Elle ne cesse de penser à son pays, à ses proches. "Je suis dans une magnifique prison", dit-elle.

La pieuvre de l'État islamique

Elle, qui reconnaît avoir été bien accueillie aux États-Unis, est sidérée par la vague actuelle de rejet contre les réfugiés syriens. Le contexte pré-électoral ne contribue pas à élever le niveau. Ben Carson, l’un des principaux candidats à la primaire républicaine, a été jusqu’à comparer récemment les réfugiés syriens à des chiens enragés. Et la Chambre des Représentants, à majorité républicaine, a adopté le 19 novembre (par 289 voix contre 137 et huit absents) une mesure visant à suspendre l’accueil des réfugiés syriens et irakiens, quelques jours après les attentats de Paris. 

"Les Syriens ont été déshumanisés dans leur pays et maintenant ils sont diabolisés par la communauté internationale. Parmi les réfugiés, il y a une armée d’ingénieurs, de médecins, d’étudiants en master. Ils sont à la recherche d’opportunités et de normalité. Les Américains ne réalisent pas à quel point le processus de candidature pour les réfugiés est compliqué et sérieux", dit-elle.

Alors que la communauté internationale tente de trouver la meilleure façon de combattre l’organisation de l’État islamique (EI) qui contrôle désormais plus de la moitié du territoire syrien, Honey met en garde : "C'est connu, si on coupe les tentacules d’une pieuvre, elles repoussent. La priorité est à une transition politique, il faut que les violences cessent pour que les Syriens puissent respirer et réfléchir. Si on veut se débarrasser l'EI, il faut encourager et respecter la société civile. Or, Assad la détruit".

La responsabilité du régime de Bachar al-Assad dans la situation actuelle ne fait aucun doute pour Honey al-Sayed. Elle l’accuse d’avoir volontairement créé le chaos notamment en libérant des centaines de jihadistes de prison en mai 2011. "Les manifestations étaient au départ pacifiques et personne ne nous a soutenus. Désormais, combien de pays s’affrontent dans mon pays ?"

Un pays dans lequel elle ne désespère pas de retourner un jour : "Oublions ma génération, pensons à celle d’après. Ces jeunes n’ont peur de rien, ils continueront de réclamer leurs droits. Si seulement on leur donnait leur chance, la région serait extraordinaire".