L'exécutif français veut inscrire dans la Constitution la possibilité de déchoir de la nationalité française les binationaux, même nés en France, condamnés pour acte de terrorisme. Une mesure qui pose plusieurs questions épineuses. Explications.
Trois jours après les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, François Hollande l’annonçait devant les parlementaires français réunis à Versailles : "Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s'il est né français, et je dis bien même s’il est né français, dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité".
Quelque deux semaines plus tard, un avant-projet de loi allant dans ce sens a été transmis au Conseil d'État, selon des sources gouvernementales citées par l’AFP. L’exécutif souhaite que ce texte prévoyant de déchoir de la nationalité française les binationaux condamnés pour acte de terrorisme, qui devrait être présenté en Conseil des ministres le 23 décembre, soit inscrit dans la Constitution française. Un Français n'ayant pas de double nationalité ne peut, lui, être déchu de sa nationalité, en raison de traités internationaux interdisant la création d’apatrides.
Si la mesure fait l’effet d’une annonce coup de poing pour certains à gauche, la procédure de déchéance de la nationalité existe déjà dans l’Hexagone. Appliquée sur la base de l’article 25 du code civil, elle est même vieille de plus d’un siècle. Pourquoi, alors, se parer d’un nouvel arsenal juridique en la matière ? Quelle forme va concrètement prendre cette procédure ?
Éclairage avec Sylvain Saligari, avocat spécialisé dans le droit des étrangers.
France 24 : À quand remonte la création de cette procédure de déchéance de nationalité ?
Sylvain Saligari : À 1848, lors de l’abolition de l’esclavage. À l’époque, un décret prévoyait que tout Français qui continuait à pratiquer la traite ou à acheter des esclaves serait déchu de la nationalité. Pendant la Première Guerre mondiale, le Parlement avait voté une législation spéciale qui permettait de déchoir les Français originaires de pays ennemis qui se prêtaient à des actes de trahison ou d’insoumission. Durant la Seconde Guerre mondiale, des records de dénaturalisations – environ 15 000 cas – ont été enregistrés sous le régime de Vichy.
De nos jours, ce décret permet de déchoir de la nationalité française des individus condamnés pour atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour terrorisme, mais il est très rarement utilisé : on parle d’une dizaine de personnes concernées entre 2005 et 2015. [Les cas les plus récents remontent au 7 octobre 2015, date à laquelle cinq personnes ayant purgé des peines de prison pour leurs liens avec les auteurs des attentats de Casablanca en 2003 ont été déchus de la nationalité française, NDLR].
Pourquoi vouloir inscrire la possibilité de déchoir les binationaux de la nationalité française dans la Constitution alors même que cette procédure existe déjà ?
Actuellement, la déchéance de nationalité ne vise pas les Français ayant eu la nationalité par filiation, mais uniquement ceux qui ont été naturalisés. Cela crée une différence entre deux catégories de Français : ceux nés en France et les autres. Or cela peut donc contrevenir à l’article 1 de la Constitution, qui stipule que "la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".
En janvier 2015, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs dû répondre à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la déchéance de la nationalité française d’Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi [Marocain naturalisé Français en 2003 qui a été condamné en 2013 à sept ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, NDLR] au motif qu’il y aurait une atteinte au principe d’égalité entre les Français. Le Conseil a écarté ce grief, justifiant cette décision par l’encadrement strict de l’atteinte à l’égalité grâce à une procédure qui tient compte de délais. Actuellement, pour déchoir quelqu’un de sa nationalité française, il faut que les faits qui lui sont reprochés aient été commis dans les dix ans suivant l'acquisition de sa nationalité (15 ans en cas d'affaire de terrorisme), et que la procédure judiciaire ait eu lieu dans les dix ans suivant ces faits. Des délais qui pourraient être allongés dans le nouveau texte.
En somme, cette mesure du gouvernement vise à anticiper d'éventuelles censures du Conseil constitutionnel. L’exécutif prend les devants. Il faut tout de même noter que ce texte pourrait créer une nouvelle inégalité, mais cette fois-ci entre binationaux et Français seuls.
Concrètement quel sera le sort réservé à un individu déchu par la France ?
Tout d’abord, l’individu concerné dispose de deux mois pour contester le décret de déchéance. Passé cette période ou en cas de confirmation du décret, la personne peut en théorie faire une demande de titre de séjour pour rester sur le territoire français, comme le ferait un étranger arrivé sur le territoire. Toutefois, ce titre de séjour lui sera évidemment refusé car on lui opposera un motif d’ordre public. Le mis en cause ne pourra ainsi pas rester en France légalement et va donc faire l’objet d’une reconduite à la frontière.
L’individu pourra alors se rendre dans l’autre pays dont il est ressortissant, sous réserve d'éventuelles difficultés que peut présenter l'autre État. Ce dernier peut en effet aussi le déchoir de sa nationalité ou invoquer différents moyens pour refuser son retour en raison de risques pour l'ordre public.
Dans ce cas de figure, il conviendra alors de trouver un autre pays qui accorde un laissez-passer à la personne déchue de nationalité. L’individu pourrait se retrouver dans une impasse : faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire ou d’un arrêté d’expulsion mais ne pas pouvoir se rendre dans un autre pays faute d’autorisation. Il pourrait alors être contraint de rester sans papier sur le territoire français et de vivre dans une situation de grande précarité.