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Un "dispositif de contrôle" parlementaire pour surveiller l'état d'urgence

La commission des lois a établi un "dispositif de contrôle" de l'état d'urgence, a annoncé son président Jean-Jacques Urvoas, mercredi. Il s'agit d'exercer une surveillance a posteriori des dérives éventuelles.

L’état d’urgence enfin à l’abri des dérives ? C’est ce qu’a laissé entendre le député Jean-Jacques Urvoas (PS), lorsqu’il a présenté mercredi 2 décembre un "dispositif de contrôle" de l’état d’urgence approuvé par la commission des lois de l’Assemblée nationale, dont il est le président. Ce dispositif, mis en place pour trois mois, constitue pour le député une "veille parlementaire continue", "une vigie" destinée à "évaluer la pertinence des moyens mobilisés (dans le cadre de l’état d’urgence) et (...) signaler le cas échéant tout risque d'abus". Alors que la mise en œuvre de l’état d’urgence est de plus en plus critiquée, cette annonce arrive à point nommé.

Adopté au lendemain des attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, l’état d’urgence renforce considérablement les pouvoirs d’intervention de l’État. Lorsqu’il est en vigueur, les préfets peuvent ordonner l’assignation d’individus à résidence ou la fermeture de lieux publics, et disposent de certaines prérogatives habituellement dévolues au pouvoir judiciaire, telles que les perquisitions, alors dites "administratives".

Depuis son entrée en vigueur le 14 novembre, l’état d’urgence a donné lieu à 2 235 perquisitions, après lesquelles plus de 232 personnes ont été placées en garde à vue. Les détracteurs de cette mesure exceptionnelle s’inquiètent toutefois de dérives et d’abus d’autorités, telles que l’assignation à résidence de 24 militants écologistes peu avant la COP21, bien éloignée des impératifs de lutte anti-terroriste.

En quoi consiste ce dispositif de contrôle et quand sera-t-il opérationnel ?

La "veille parlementaire continue" qu’évoque Jean-Jacques Urvoas dans son dispositif, censé permettre le "contrôle" de l’état d’urgence, consiste en un travail d’analyse a posteriori. Il s’agit, selon le co-rapporteur Jean-Frédéric Poisson (LR), contacté par France 24, de vérifier "que les procédures soient respectées et que l’état d’urgence ne donne pas lieu à des dérives".

Or, pour contrôler les agissements d’une administration qui, précisément, ne doit plus demander d’autorisation à la justice, cela ne peut se passer qu'après-coup, d'autant que les actions menées se déroulent à un rythme soutenu.

Pour exercer un contrôle sur ces événements, tout en continuant à assumer leurs fonctions habituelles, Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson s'appuieront sur des données transmises quotidiennement par un réseau de correspondants au sein de l'appareil d'État, ainsi que sur d’autres sources : les parlementaires, le Défenseur des droits Jacques Toubon et ses 397 délégués territoriaux, ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et les associations représentées en son sein.

"Ils seront aussi aidés de trois administrateurs de l’Assemblée nationale, très compétentes, qui ont été désignés par la commission des lois", rassure Marie-Françoise Bechtel, députée (PS) et vice-présidente de cette même commission.

Qu’en dit l’opposition ?

Le "dispositif de contrôle" a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois. Toutefois, les orateurs des groupes minoritaires redoutent que le "contrôle" ne se retrouve concentré entre les mains des groupes PS et LR, par le biais de Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson, les deux co-rapporteurs.

Les deux députés pourtant ont affirmé qu'il y aurait un débat en commission toutes les trois semaines. Jean-Frédéric Poisson suggère également que le bureau de la commission des lois, où tous les groupes siègent, se réunisse une fois par semaine pour servir de relai d’information auprès des autres partis.

À l’extérieur de la commission, parmi les rares parlementaires à avoir voté contre la prolongation de l’état d’urgence, la députée Barbara Romagnan (PS) se dit perplexe. "C’est toujours bien qu’il y ait un contrôle parlementaire, une forme de vigilance. Mais ça n’éloigne pas mes réserves quant à l’état d’urgence. Je ne suis pas sûre que le contrôle permette d’éviter les dérives", confie-t-elle à France 24.

L’association La Quadrature du Net, qui recense justement les actions menées chaque jour, reste sceptique également. Le groupe demandait le 23 novembre "la création d'une commission d'enquête parlementaire en charge de conduire une investigation ouverte et transparente sur les attentats et sur les lois relatives à la lutte contre le terrorisme et au renseignement, [afin d’identifier les] politiques et dysfonctionnements qui ont pu contribuer, ou qui n'ont pas su empêcher, la commission de ces attentats."

Mais sa porte-parole, Adrienne Charmet, espère que Jean-Jacques Urvoas "ne met pas en place ce dispositif pour occuper le terrain et bloquer d’éventuelles tentatives de commissions parlementaires comme celle que nous demandions".