Dans un entretien accordé jeudi à France 24, le président turc Recep Tayyip Erdogan a tenté de jouer l'apaisement avec la Russie. Les deux pays sont en froid depuis que l'armée turque a abattu un avion russe le 24 novembre.
C'est une main que le président turc Recep Tayyip Erdogan a tendue à la Russie, dans un entretien accordé jeudi 26 novembre à France 24, alors que les relations entre Ankara et Moscou traversent une grave crise.
"Nous ne voulons pas de tensions avec la Russie", a déclaré le chef de l'État Erdogan depuis son palais présidentiel, deux jours après que l'aviation turque a abattu un avion russe tout près de sa frontière avec la Syrie. Et le chef de l'État turc d'indiquer avoir tenté de discuter avec son homologue russe, car "il faut qu’on parle, qu’on voit de quoi il en retourne", en vain. "Après l'événement j’ai appelé Monsieur Poutine, mais jusqu’à maintenant, il n’a pas répondu à mon appel", a-t-il regretté.
Sans toutefois présenter d'excuses, Recep Tayyip Erdogan a expliqué devant les caméras de France 24 que l’incident ne pouvait constituer "un cas de casus belli" entre la Russie et son pays. Selon le président turc, son armée de l’air avait le devoir de protéger l’espace aérien du pays, et elle l’a fait en abattant l’avion russe, qui au moment de l’incident n’était pas identifié comme tel. "Si nous avions su que l’avion était russe, nous aurions agi différemment, a-t-il précisé. On aurait peut-être pu empêcher autrement cette violation de l'espace aérien".
"J’ai toutes les preuves"
Et de préciser que toutes les données de radar en possession de la Turquie et de l’Otan, confirment la version d’Ankara, à savoir que l’avion russe a bel et bien violé l’espace aérien turc, en ignorant "pendant plus de cinq minutes des avertissements répétés. [...] J’ai toutes les preuves, toutes les données de radar, tous les enregistrements des conversations […], il faut que les Russes les étudient, […] nous ne pouvons accepter des déclarations mensongères", a-t-il affirmé. Le président turc s’est dit prêt à coopérer avec les Russes, "il faut qu’on continue à œuvrer ensemble", a-t-il insisté.
Il s’est dit attristé par les incidents anti-turcs qui ont eu lieu ces derniers jours en Russie, notamment mercredi, quand plusieurs centaines de manifestants ont jeté des pierres et brisé des vitres de l'ambassade turque à Moscou. Le président turc a affirmé qu’il n’autoriserait pas que de telles "provocations" se déroulent devant l’ambassade russe d'Ankara.
De son côté la Russie ne cesse de durcir le ton. Le Kremlin conteste vivement la version turque, et assure au contraire que l'avion russe n'a pas franchi la frontière et qu'il n'a jamais été contacté avant d'être abattu. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré, mercredi 25 novembre, que la décision d'abattre le Sukhoï Su-24 relèvait d'une "provocation planifiée" de la part d'Ankara.
Outre les mesures de retorsions économiques qu’elle a promises de prendre à l’égard de la Turquie, elle a appellé tous ses ressortissants présents dans le pays à rentrer en Russie, invoquant des risques "terroristes". Le ministère russe de la Défense a par ailleurs annoncé jeudi la suspension de la coopération militaire avec la Turquie et le gel des contacts téléphoniques pour le partage d'informations sur les raids aériens en Syrie.
Complaisance d’Ankara envers l’EI ? "Calomnies" rétorque Erdogan
Au cours de cet entretien, Recep Tayyip Erdogan s’est ensuite dit indigné par les accusations de complaisance turque avec les jihadistes de l’organisation de l’État islamique (EI), proférées par certains responsables russes. "Ceux qui profèrent de telles accusations doivent apporter des preuves, car c’est un manque de respect. Ils calomnient la Turquie", a-t-il répliqué.
Réagissant aux propos tenus la veille par le Premier ministre russe Dmitri Medvedev, selon lesquels Ankara achète du pétrole à l'EI, Recep Tayyip Erdogan a déclaré : "Il s’agit de mensonges et de calomnies, ces déclarations sont indignes du rang de ceux qui les ont prononcées" , a-t-il répliqué, ajoutant que la Turquie "n’a jamais fait ce genre de commerce avec des organisations terroristes, car si tel était le cas, je ne resterai pas ici à mon poste, parce que nous sommes des gens d’honneur".
Russes et Turcs tiennent des positions totalement divergentes sur la question syrienne : Moscou est un allié indéfectible du régime du président Bachar al-Assad, tandis qu’Ankara n’a de cesse de demander la chute du président syrien, tout en soutenant les mouvements rebelles qui luttent contre l’armée syrienne.
Le président islamo-conservateur, issu des rangs du Parti de la justice et du développement (AKP), a affirmé que "nul ne peut prétendre que notre frontière est ouverte à Daech [acronyme de l'organisation de l'État islamique, ndlr]". Il a accusé la Russie et l’Iran de ne pas lutter contre le groupe jihadiste dirigé par le calife auto-proclamé Abou Bakr al-Baghdadi. "La Russie et l’Iran soutiennent le régime d’Assad (…). C’est la coalition internationale [menée par Washington, ndlr] qui lutte contre Daech avec les opposants au régime", a-t-il soutenu.
Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé sa volonté de lutter contre tous les "forces extrémistes"présentes à l’intérieur et à l’extérieur des frontières turques, mettant implicitement au même plan l’EI et les différentes guérillas kurdes, dont le PKK.