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Biennale photographique : le monde arabe au-delà des clichés

La première Biennale des photographes du monde arabe contemporain s’ouvre à Paris ce mercredi. Une exposition fleuve pour déconstruire les clichés qui plombent encore la région et mettre en avant la richesse d’un monde pluriel.

En lévitation. La jeune femme en jean bleu, voile moutarde et bracelets brésiliens aux poignets, est plongée dans le Coran, jambes croisées, suspendue. Cette photo de l’Égyptienne Wafaa Samir, où spiritualité et modernité vont de pair, a été choisie comme affiche de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain, qui s’ouvre le 11 novembre, pour deux mois, à Paris.

Une femme photographiée par une femme pour illustrer cette première édition, un hasard ? Pas vraiment si l’on revient aux objectifs que s’est donné Jack Lang en lançant le projet : "sortir des clichés les plus éculés" sur le monde arabe pour "révéler des réalités cachées" et "améliorer la compréhension entre les peuples", ambitionnait alors le président de l’Institut du Monde Arabe (IMA), qui co-organise l’événement avec la Maison européenne de la photographie (MEP).

En sélectionnant des travaux d'une cinquantaine de photographes - issus du monde arabe et d'ailleurs - produits essentiellement ces dix dernières années, cette biennale  cherche à apporter un éclairage nouveau sur un univers en mutation, mais encore lesté de trop nombreux stéréotypes. À commencer par un lieu commun : celui d'un monde arabo-musulman où l'image, la représentation, seraient un tabou. Dans cette exposition, il voit et se donne à voir sous de multiples facettes.

Un regard post-orientaliste

Autre cliché qui perdure : celui de l’orientalisme, cet "Orient crée par l’Occident" tel que l'a défini Edward Saïd, avec ses femmes lascives ou voilées et ses ruines antiques. Les photographes contemporains prennent au contraire leurs distances avec le folklore. Ainsi, quand Leila Alaoui photographie "Les Marocains" en tenue traditionnelle, elle est mue par la volonté de témoigner d’une richesse culturelle menacée, plutôt que par une quête d’exotisme. "Cette série est un travail d’archives pour témoigner d’une diversité qui risque de disparaître", explique à France 24 cette Franco-Marocaine de 33 ans.

Dans ce projet quasi-anthropologique, elle présente une série de portraits d’hommes et de femmes qu’elle extrait de leur quotidien pour les photographier devant un rideau noir avec un éclairage artificiel puissant. Une méthode rigoureuse pour un résultat constant, qui efface la réalité de terrain : Leila Alaoui a rencontré ses modèles au cours d'un road-trip à travers les régions reculées du Maroc, du Rif au Nord  à Khamlia au Sud en passant par la chaîne de l'Atlas, un studio portatif pour bagage.

Leila Alaoui précise qu’elle ne fait pas poser ses modèles. "J’installe mon studio en extérieur, les jours de marché. Les gens passent, ceux qui veulent s’arrêtent. La seule chose que je leur demande, c’est de rester face à moi", explique la photographe, qui ne renie par l’influence de Robert Franck, qui a parcouru les États-Unis à la fin des années 1950 pour photographier "Les Américains".

L’actualité de biais

Si le temps de l’orientalisme est dépassé, le regard sur le monde arabe reste aujourd’hui perturbé par les révolutions politiques, conflits religieux ou guerres stratégiques qui l’affectent. La Biennale a donc fait le choix de présenter des photos qui n’abordent pas de front l’actualité brûlante de la région, sans l’éluder pour autant.

Le Français Samuel Gratacap présente notamment un travail de fond sur la crise des réfugiés en Libye. La Franco-Marocaine Mouna Saboni s’est, quant à elle, attelée à un "fléau" qui affecte l’Égypte : le harcèlement et les abus sexuels. Interpellée par un rapport d’Amnesty international, elle s’est rendue en Égypte en 2015 et présente à Paris une série intitulée "La peur", combinant témoignages et photos. Si les textes sont l'écho explicite des souffrances et humiliations endurées, les images, elles, esthétisent volontairement les femmes, magnifiées par la lumière et les cadrages.

"Je ne voulais pas que les images révèlent une souffrance directe, je voulais que cela soit suggéré", explique la photographe qui a volontairement dissocié les histoires et les visages. "Les femmes que j’ai rencontrées m’ont confié des choses très intimes et elles ne voulaient pas qu’on puisse les reconnaître", se justifie-t-elle. "L’idée n’était pas de les pointer du doigt dans une société où le viol est stigmatisant. Au contraire les montrer dans toute leur beauté, malgré le drame". Pas de victimes donc, mais des survivantes, des battantes.


Les femmes incontournables

Cette biennale tire donc aussi un trait sur un autre stéréotype : l’idée que les femmes arabes seraient opprimées ou confinées à la sphère du privé. Ou que la photographie serait une activité réservée aux hommes. S'il fallait imaginer une suite à l’exposition programmée au Musée d’Orsay, "Qui a peur des femmes photographes ?" (1839 à 1945), il faudrait sans aucun doute y introduire des représentantes du monde arabe.

La pratique de la photographie reste néanmoins plus aisée pour celles qui viennent de l’"étranger". Citons le travail de Pauline Beugnies, exposé à la Mairie du IVe arrondissement, sur la "Génération Tahrir" en Égypte. Dans ce projet mené entre 2010 et 2015, la photographe française dresse "un portrait intime d’une génération émergente qui fait le choix de l’émancipation contre la tyrannie du patriarcat". À l’IMA, Amélie Debray livre une vision inédite sur la passion du foot en Palestine, "un élément fédérateur dans un territoire morcelé" et Anne-Marie Filaire s’intéresse elle à l’adolescence dans les Émirats arabes unis et à Gaza.

L'éventail de photographes exposés et les thèmes abordés sont donc aussi divers que le monde arabe, "mosaïque de couleur, cultures et lumière", selon le commissaire général de l’exposition, Gabriel Bouret. Ce dernier admet volontiers qu’il n’était pas spécialiste du sujet lorsqu’il s’est lancé dans le montage de cette Biennale il y a deux ans. "Depuis, j’ai appris énormément. J’aimerais que grâce à ce projet, notre regard se développe et pointe du doigt la réalité et la richesse d’un monde que l’on n’avait pas soupçonné", déclare-t-il. De ce point de vue, le pari est réussi.