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envoyé spécial France 24 à Abidjan – Loin des réflexes partisans de la presse ivoirienne traditionnelle, le blogueur Daouda "Sa Majesté" Coulibaly essaie de couvrir la campagne pour la présidentielle en dépassant les clivages. Portrait d'un enfant de la Toile aussi mordant que mordu.

Drôle d'endroit pour une rencontre des plus aristocratiques. C'est à la cafétéria du grand complexe commercial des Deux-Plateaux, dans le centre d'Abidjan, que le blogueur Daouda "Sa Majesté" Coulibaly a pourtant établi son lieu de travail. Sur la table haute qui lui sert de bureau : un ordinateur portable au clavier édenté, deux téléphones à la sonnerie capricieuse et un "domino", petite boîte noire sans fil qui lui offre un accès internet en tout lieu et en toute heure.

Pour ce jeune de 29 ans qui fait partie du club restreint des "hyper connectés" ivoiriens, l'appareil fait office de sésame. C'est grâce à lui qu'il alimente régulièrement son blog, lance des débats sur Facebook et poste ses chroniques vidéo sur YouTube. Sa dernière publication en date est une pastille d'à peine quatre minutes sur laquelle il fustige, seul face à la caméra, la propension des responsables politiques à engager des promesses qu'ils savent irréalisables.

À cinq jours du premier tour de la présidentielle qui verra sept candidats affronter le président sortant Alassane Ouattara, la vidéo fait mouche. Le dispositif est simple mais le montage dynamique confère à l'ensemble un ton satirique qui marque une volonté de dépasser les clivages. Daouda est aussi mordant que mordu mais se garde bien d'alimenter les haines recuites qui, à force de crises, ont mené le pays jusqu'à la guerre civile. "On ne va pas s'attarder sur les vieilles querelles à n'en plus finir, lâche-t-il. Il faut que les Ivoiriens passent à autre chose, notre pays a déjà payé un trop lourd tribut." Pas question pour autant d'ignorer la politique : "Mon objectif, c'est d'éveiller les consciences à travers les outils que les jeunes utilisent."

De la direction des impôts à la blogosphère ivoirienne

À l'origine, rien ne prédisposait ce natif de Bouaké, la grande ville du centre du pays, à jouer les éditorialistes 2.0. "Mes parents voulaient que je fasse de la comptabilité. J'ai eu mon diplôme, ai commencé à travailler à la direction des impôts à Abidjan, mais moi, ce que je voulais depuis tout petit, c'était devenir journaliste. Un jour, j'ai profité d'une formation sur l'écriture web pour me lancer."

De son propre aveu, ses débuts sur la Toile en 2010 ne sont pas des plus convaincants. La Côte d'Ivoire, à peine remise d'une longue crise politico-militaire, est alors engagée dans un processus électoral qui tournera au bras de fer sanglant entre le camp de Laurent Gbagbo et celui d'Alassane Ouattara. "J'ai commencé avec un blog très engagé, trop politisé. Mais à l'époque, de toute façon, il n'y avait que ma famille qui lisait ce que j'écrivais", rit-il aujourd'hui.

Après les violences post-électorales et l'arrivée au pouvoir de l'actuel chef de l'État, Daouda raccroche les crampons du journaliste partisan pour ceux, plus lisses, du chroniqueur people. "J'ai lancé un blog appelé 'Abidjan Gossip' sur lequel je parlais de la mode, de célébrités, de footballeurs...", se rappelle-t-il amusé. Parallèlement, entre deux billets sur Didier Drogba, le jeune rédacteur s'approche de la RNW, une radio associative néerlandaise qui l'emploie régulièrement pour travailler sur les questions de justice internationale. "C'est en allant à la rencontre des victimes de la crise post-électorale que j'ai pu comprendre la Côte d'Ivoire. Lors d'une mission à Duékoué, [ville de l'ouest ivoirien qui fut en 2011 le théâtre de massacres], j'ai rencontré une femme dont le mari avait été abattu par des partisans de l'un des candidats se disputant la présidence. Je me suis rendu compte que la crise avait fait du tort à toute la société ivoirienne. À partir de là, j'ai pris du recul et me suis dit qu'il fallait se placer au-dessus des clans."

"On a envie d'entendre et de voir autre chose"

En 2012, le journaliste web opère donc un retour aux fondamentaux sous le nom de Daouda "Sa Majesté" Coulibaly. Dans son nouveau blog, "La voie des sans voix", il délaisse quelque peu l'actualité de Miss Côte d'Ivoire pour se consacrer davantage à la vie politique, sociale et culturelle de son pays avec la ferme intention de bousculer le paysage médiatique ivoirien. "Les journalistes ici aiment tout ce qui touche au reportage institutionnel et ne font que suivre les politiciens, déplore-t-il. On a envie d'entendre et de voir autre chose."

Dans ses billets, le "roi David", comme l'appelait sa grand-mère, évoque le quotidien des étudiants, interpelle une actrice prise en flagrant délit de tribalisme, s'interroge sur la visite d'une ministre française à Abidjan... Mais dans un pays où les antagonismes restent vivaces, la moindre prise de position est interprétée comme du prosélytisme politique. "Mes proches disent au mieux que je suis polémiste, au pire que je suis suicidaire. Il suffit que je m'exprime sur un sujet pour être taxé d'appartenir à tel ou tel camp, observe-t-il. La jeunesse ivoirienne est obnubilée par les personnalités politiques. Il y a comme un culte de la personnalité qui ne dit pas son nom. Mais est-ce que sans Ouattara, Gbagbo ou Henri Konan Bédié, la Côte d'Ivoire va s'arrêter de marcher ?"

Son modèle : Yann Barthès du Petit Journal

Soucieux de susciter le débat plutôt que de semer la zizanie, Daouda a, depuis le début de l'année, lancé sa chaîne YouTube où il dispense ses coups de griffe et de gueule sur un ton plus léger. Son modèle en la matière : Yann Barthès, l'animateur et chef d'orchestre du Petit Journal, émission phare de la chaîne française Canal + qui étrille quotidiennement les petites manies des responsables politiques. "Chaque fois que je fais une chronique, je pense à ce qu'il fait. J'essaie d'apprendre à faire de la comédie devant la caméra. Quand tu fais dans l'humour, tu es mieux compris et les gens se braquent moins."

Malgré une défiance à l'égard du politique, Daouda Coulibaly ne dénigre en rien la politique. Dimanche, jour d'élection, "Sa Majesté" fera la tournée des bureaux de vote de la capitale économique afin de rendre compte en temps réel du déroulement du scrutin. Armé de son téléphone, il compte se faire le témoin des éventuelles anomalies ou tentatives de fraudes qui pourraient entacher le processus. Et semer, en fin de compte, le doute sur la légitimité du vainqueur. "Je serai comme un observateur indépendant avec un smartphone, clame-t-il. Mon objectif est de minimiser la casse et d'éviter une crise comme celle de 2010-2011. Je n'ai pas la prétention d'être influent mais si je peux inciter des jeunes à aller vers la paix, ce sera une réussite."