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Quand un leader des péronistes fait campagne depuis sa cellule

, correspondant en Argentine – Accusé d’avoir torturé et tué sous la dictature des généraux, l’ex-officier de police Luis Patti a pourtant été autorisé par la justice à se présenter aux législatives du 28 juin. Depuis, il a lancé sa campagne… de sa cellule.

Le théâtre Broadway, sur la populaire avenue Corrientes de Buenos Aires, est rempli d’enfants qui n’ont pas encore l’âge de voter. Mais quand on leur demande de chanter l’hymne national argentin, puis la marche péroniste, tous l’entonnent en cœur, accompagnés par d’énormes tambours et une musique que crachent des baffles poussés à plein volume. Pas de doute : il s’agit non pas d’une chorale d’enfants de chœur, mais d’un meeting politique.


Il est organisé par "la liste des péronistes libres" dans la perspective des élections législatives du 28 juin. Entendez par là les péronistes qui ne sont pas au gouvernement. Leur leader s’appelle Luis Patti, et celui-ci s’apprête à faire un discours depuis… la cellule du pénitencier de Marcos Paz, où il est détenu. Accusé de torture et d’enlèvement, Patti appartient en effet à ces dizaines d’individus poursuivis ou condamnés pour crime contre l’humanité pendant la dictature, entre 1974 et 1977.


La communication avec la tête de liste est malheureusement inaudible. Seules quelques bribes de mots permettent de reconstituer ce qui s’apparente à un programme politique : "Remettre l’Argentine au travail", "Service militaire obligatoire", ou "Autorité parentale". La fin de l’intervention de Luis Patti est sans ambiguïté : "Allez voter et surveiller la fraude !"

Accusé de crimes contre l'humanité


Agé de 56 ans, le candidat n’en est pas à son premier fait d’armes. En octobre 2005, Patti avait été élu député, avant qu’un citoyen d’Escobar, la ville dont il fut maire, ne vienne ruiner sa nouvelle carrière d’élu. Après des révélations concernant sa participation à des séances de torture pendant la dictature, le Parlement avait refusé de ratifier son investiture, jugeant qu’il n’avait pas "l’aptitude morale" pour y siéger. La Cour suprême a beau avoir entériné, par la suite, son élection, il n’a jamais eu le loisir de profiter de son mandat, car il a été envoyé avant en prison.


Le 26 mai, la justice argentine lui a reconnu le droit de se présenter aux prochaines législatives, malgré son incarcération pour crimes contre l’humanité, car il "n’a pas encore été condamné", a justifié le juge.


Les familles de ses victimes, qui luttent pour qu’il réponde enfin de ses crimes, vont faire appel d’une telle décision. Dans une tribune publiée par le quotidien "Crítica", l’avocat Mariano Gabriel Molina explique que "l’article 36 de la Constitution interdit la candidature de quiconque aurait porté atteinte à l’ordre institutionnel et au système démocratique". Pour ce défenseur des victimes, le cas Patti tombe donc sous le coup de la loi puisque les faits qui lui sont reprochés sont qualifiés de "crimes contre l’humanité" et sont imprescriptibles.

Avec le soutien de deux ex-présidents


"Je suis un persécuté", répond Patti, assurant que son élection renforcera la démocratie. Le leader des "péronistes libres" est soutenu par Aldo Rico, qui avait tenté plusieurs coups d’État à la fin des années 1980 pour protester contre les procès intentés aux militaires de la dictature. Pour plaider leur cause, les deux hommes s’en réfèrent à leur nouvelle bible : le "Pacte de San José de Costa Rica". Ce traité international, référence pour les avocats des droits de l’Homme, prévoit que "toute personne peut se présenter aux élections tant qu’elle n’a pas été condamnée définitivement par la justice".


En plus du soutien des milieux d’extrême droite et de deux anciens présidents argentins, Carlos Menem et Eduardo Duhalde, l’ex-commissaire, adepte de la politique de la main dure, dit bénéficier du soutien des "banlieues populaires qui souffrent de l’insécurité", thème central de sa campagne. Pourtant, Patti peine à décoller dans les sondages.


"Cette fois-ci, il est presque impossible que Patti, même s’il obtient assez de votes pour être élu député, puisse assumer sa fonction. Car, pour cela, il devrait être absous des crimes contre l’humanité dont il est accusé. Et son procès approche”, tente de se consoler le quotidien de la gauche argentine "Pagina 12".
 

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