
La Chine affirme avoir réussi à transformer du thorium en uranium dans un petit réacteur, et espère faire de même dans un bien plus grand d'ici 2035. © Studio graphique France Médias Monde
Xi Jinping a-t-il le même combat que le célèbre alchimiste du Moyen-Âge Nicolas Flamel ? Si ce dernier a passé sa vie à chercher la fameuse pierre philosophale permettant de transformer n’importe quelle roche en or, les autorités chinoises semblent enfin avoir percé le secret permettant de produire à partir de ce métal un combustible pour réacteur nucléaire. Les médias chinois ont annoncé, lundi 3 novembre, la conversion de thorium en uranium au sein d’un réacteur à sels fondus.
Si ce succès venait à être confirmé, cette percée pourrait valoir de l’or pour le président chinois dans sa quête vers l’indépendance énergétique.
Tout pour de l’uranium 233
Ce premier test annoncé comme réussi a été mené fin octobre par l’Institut de physique appliquée de l’Académie chinoise des sciences à Wuwei, une ville en plein milieu du désert de Gobi, dans le nord de la Chine. “Plus de 100 instituts de recherche, universités et groupes industriels ont collaboré dans le cadre de ce programme pour surmonter les défis posés par ce type de réacteur”, se sont félicités les médias officiels chinois.
Concrètement, les Chinois affirment avoir “transformé du thorium 232, un élément disponible dans la nature, en uranium 233, qui n’existe pas à l’état naturel, mais se révèle être un bon combustible nucléaire”, résume Janne Wallenius, spécialiste d'ingénierie des réacteurs à l'École royale polytechnique de Stockholm.
Ce n’est pas ce qui se passe dans la quasi-totalité des réacteurs actuellement actifs. Seul l’uranium 235 est, à l’état naturel, fissile et peut servir de combustible pour produire de l’énergie. Mais il n’existe qu’en quantité très limitée sur la planète. En revanche, “l’uranium 238 est bien plus abondant dans la nature, et c’est lui qui est utilisé dans les réacteurs nucléaires où il est transformé en plutonium 239, élément fissible", explique Daniel Heuer, spécialiste du nucléaire et de la filière thorium au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie du CNRS.
L’expérience chinoise rompt donc avec le modus operandi traditionnel non seulement en ajoutant du thorium à la recette mais aussi en utilisant "le seul réacteur à sels fondus actuellement actif au monde”, souligne Janne Wallenius.
D’ordinaire, les centrales nucléaires fonctionnent plutôt avec des réacteurs à eau pressurisée, qui représentent 55 % du parc de réacteurs dans le monde. Ils utilisent de l’uranium enrichi sous forme solide comme combustible. Dans le cas des réacteurs à sels fondus, ce sont les cristaux qui, une fois mélangés à la matière fissile et fondus, servent de combustible et transportent la chaleur et l’énergie produite.
La “tortue” chinoise et le “lapin” américain
Le réacteur chinois à Wuwei serait donc tout nouveau, tout beau ? Pas vraiment. En réalité, il reprend là où les États-Unis se sont interrompus dans les années 1960. “La conversion du thorium est en effet connue depuis longtemps”, reconnaît Daniel Heuer.
Les essais américains menés entre 1965 et 1969 au laboratoire d’Oak Ridge “sont devenus légendaires au sein de la communauté scientifique”, a assuré le physicien M.V. Ramana dans un article sur les réacteurs à sels fondus paru dans le Bulletin of the Atomic Scientists en 2022.
Les Chinois le savent et se sont d’ailleurs vantés “d’être les vrais successeurs des efforts américains des années 1960”. “Les lapins [les États-Unis, NDLR] deviennent parfois paresseux. C’est à ce moment-là que la tortue [la Chine] prend le relais”, avait affirmé en avril dernier Xu Hongjie, l’ex-directeur de recherche du programme thorium chinois.
“Les efforts chinois pour réussir dans ce domaine visent à démontrer qu’ils investissent dans des technologies d’avenir là où les États-Unis sous Donald Trump misent sur des sources d’énergie polluantes et anciennes comme le charbon et le pétrole”, souligne Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l’université arctique de Norvège.
Et le pari chinois est dans l’air du temps. “De nombreuses start-ups dans le monde essaient de développer les réacteurs à sels fondus”, confirme Daniel Heuer. Ces réacteurs font partie des technologies les plus prometteuses identifiées par le forum Génération IV – une initiative américaine pour favoriser la coopération internationale dans le domaine du nucléaire civil – pour les centrales du futur.
Pour ses partisans, la combinaison thorium-réacteurs à sels fondus est gagnante à plus d’un titre. “Ces réacteurs sont intrinsèquement stables et il ne risque pas d’y avoir d’emballement, ce qui leur procure un avantage en termes de sécurité”, affirme Daniel Heuer. Là où les réacteurs à eau pressurisée peuvent être comparés à des cocottes-minute nécessitant d’énormes pressions et de l’eau pour le refroidissement, les réacteurs à sels fondus seraient davantage comme des bouilloires électriques dotées d’un coupe-circuit intégré. “Le danger d’avoir un incident de type Tchernobyl [la centrale soviétique dont le cœur d’un réacteur avait fondu en 1986, NDLR] est en principe écarté avec ce type de réacteur”, confirme Georg Steinhauser, physicien atomique à l’université de Vienne.
“Ces réacteurs brûlent aussi tout, ce qui réduit les déchets à traiter ensuite”, affirme Daniel Heuer.
Pas de nouveau Tchernobyl, mais de la corrosion ?
Une solution bénéfique pour l’avenir de l’énergie nucléaire ? Attention à ne pas s’emballer, avertit Janne Wallenius. “Historiquement, le réacteur testé par les Américains a subi plusieurs arrêts d’urgence pour des raisons de sécurité. Il ne faut pas se leurrer, les Chinois ont essentiellement réussi à reproduire l’expérience américaine des années 1960 et on ne sait pas si et comment ils ont réussi à surmonter les difficultés de l’époque”, assure ce spécialiste.
L’un des principaux défauts de ces réacteurs vient de la corrosion de la structure du réacteur liée à l’utilisation du sel. “C’est un problème connu depuis longtemps. Les Chinois ont annoncé avoir trouvé une solution, mais ne donnent que très peu de détails”, constate Georg Steinhauser. Pour Janne Wallenius, l’effet corrosif du sel fait que “la durée de vie des réacteurs à sels fondus risque d’être beaucoup plus courte”.
Cet expert estime qu’il est urgent d’attendre avant de sabrer le champagne à la gloire d’une nouvelle ère d’un nucléaire plus propre et sûre grâce au thorium et aux réacteurs à sels fondus. Même si les autres spécialistes interrogés par France 24 assurent que par rapport à ce qui existe actuellement c’est une piste au minimum prometteuse. Un peu d’air frais dans “un milieu très conservateur qui n’a longtemps pas cherché plus loin que les réacteurs à eau pressurisés parce que cela fonctionnait et qu’il y a suffisamment d’uranium 238”, résume Georg Steinhauser.
Et puis la Chine n'allait pas laisser son grand rival asiatique prendre une longueur d'avance dans ce domaine. L'Inde travaille, en effet, également sur le développement d'une filière nucléaire au thorium. Logique : "C'est un pays qui dispose de très importantes réserves de ce minerai", confirme Georg Steinhauser.
