
Manuel Valls a déclaré, lundi, que des jihadistes français avaient "peut-être" été tués par des frappes françaises en Syrie. Cette information, si confirmée, pose la question de la légalité de ces opérations extrajudiciaires.
Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé, lundi 12 octobre, en marge de sa visite en Jordanie, que des jihadistes français de l'organisation de l’État islamique (EI) pourraient avoir été tués lors d'un raid aérien mené par la France la semaine dernière en Syrie.
"Qu'il y ait des Français peut-être, mais nous, notre responsabilité c'est de frapper Daech [l’autre nom de l’EI, NDLR]. Les terroristes n'ont pas de passeport", a-t-il précisé. "Au nom de la légitime défense, c'est une obligation de frapper Daech et nous continuerons, quelle que soit la nationalité de ceux qui sont dans ces centres qui préparent des attentats", a-t-il ajouté.
Légitime défense et assassinats ciblés
Un peu plus tôt, le ministère de la Défense a indiqué à l’AFP que la France avait ciblé, dans la nuit de jeudi à vendredi, un camp d'entraînement jihadiste, installé à cinq kilomètres au sud-ouest de Raqqa, la capitale officieuse de l’EI en Syrie. Ce centre "visait à former des combattants destinés à venir s'attaquer à l'Europe et à la France", selon le ministère qui a ajouté : "Parmi eux pouvaient se trouver des Français ou francophones. À ce stade, nous ne pouvons confirmer aucun élément précis relatif à ce bombardement." La présence de combattants étrangers, notamment francophones, a été identifiée par le renseignement français lors d'interrogatoires de jihadistes liés à la Syrie, rapporte l’AFP.
Frappes françaises en Syrie : "Les jihadistes n’ont pas de passeport" - EI
"Finalement, on ne sait pas grand-chose sur ces frappes françaises et sur les pertes qu’elles ont infligées. Ceci étant dit, il y a certainement eu des jihadistes français qui sont morts à la suite de frappes de la coalition internationale depuis qu’elle a commencé à bombarder l’EI en Syrie et en Irak", explique Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24.
En attendant des éclaircissements quant au bilan de ces frappes, on peut s'interroger sur la légitimité de la France, en tant qu’État de droit, à procéder à des assassinats ciblés contre ses propres citoyens soupçonnés de terrorisme.
Pour justifier la position française, Manuel Valls a évoqué le principe de légitime défense réservé à tout État membre qui fait l’objet d’une "agression armée", conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Dans ce cas précis, il s'agit d'empêcher que des attentats ne soient perpétrés par des jihadistes de l'EI sur le territoire français.
De son côté, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian s'était exprimé sur cette question de légitimité, mi-septembre, dans un entretien accordé au "Monde". Il avait alors expliqué que la France avait agit dans le cadre du respect du "droit international humanitaire". "Nous ne ciblons personne en particulier. Nous combattons non des individus mais un groupe terroriste composé de ressortissants de différentes nationalités", avait-il dit.
Que dit la loi française ?
Si officiellement, Paris n’a jamais procédé jusqu’ici à de tels assassinats ciblés, pour Wassim Nasr, le gouvernement français semble avoir décidé de suivre la jurisprudence américaine. "Les États-Unis n’hésitent pas à éliminer leurs propres ressortissants présents dans les rangs jihadistes, comme ce fût le cas pour Anouar al-Awlaqi", le citoyen américain et idéologue d’Al-Qaïda, tué par un drone US en septembre 2011 au Yémen.
"Lorsqu’un Américain part à l’étranger pour mener la guerre contre les États-Unis, et que ni les États-Unis, ni nos partenaires ne sont en position de le capturer avant qu’il ne mène à bien un complot, sa nationalité ne devrait pas le protéger", s'était défendu en mai 2013 le président américain Barack Obama.
Ce qui était décrié par les pays européens et par plusieurs ONG semble désormais appliqué par Paris et Londres, estime Wassim Nasr : "Afin de rendre acceptables aux yeux de leurs opinions ces actions extrajudiciaires, ils invoquent la légitime défense, appliquée dans une logique de guerre."
Récemment interrogé par France 24 sur l’existence d’une éventuelle base légale française pouvant justifier de telles actions, Didier Maus, professeur de droit constitutionnel à l’Université Aix-Marseille, affirmait qu’il n’existe "aucune interdiction légale, aucun argument juridique dans ce type de conflit armé très particulier - où les lois de la guerre et l’État de droit sont inopérants - qui interdit à un gouvernement de viser ses propres ressortissants considérés comme dangereux, ou qui sont passés dans le camp adverse".
Reste la possibilité que des familles françaises intentent des actions en justice contre l'État si leurs proches étaient tués par la France. Selon le professeur de droit, la nationalité française ne confère pas plus de protection qu’à un autre individu d’une nationalité différente visé par ce genre d’opération : "Cela peut poser un problème politique au gouvernement qui prend une telle décision, cela peut être discuté d’un point de vue de la morale, mais en termes de droit, il n’existe aucun fondement qui l’interdit dans ce cas précis de danger immédiat, où aucune autre solution n’existe."