Le 12 octobre 1915, l'infirmière anglaise Edith Cavell était fusillée à Bruxelles par les Allemands pour haute trahison. Cent ans après, la mémoire de cette héroïne de la Grande Guerre est toujours entretenue, notamment par ses proches.
"Miss Edith Cavell, condamnée à cinq heures de l’après-midi, a été exécutée le lendemain à deux heures du matin (…) Elle se montra aussi brave devant les fusils allemands qu’elle l’avait été devant le conseil de guerre ; elle refusa de se laisser bander les yeux et fixa à son corsage pour mourir un petit drapeau anglais". Dans son édition du 23 octobre 1915, le journal français "Le Temps" consacre un long article à l’infirmière anglaise Edith Cavell, arrêtée et fusillée quelques jours plus tôt à Bruxelles pour avoir aidé des soldats alliés à fuir la Belgique. Le quotidien parle "d’un assassinat" et d’un "crime abominable".
Partout, dans toute la presse des pays de la triple Entente, c’est la même émotion. Les articles se multiplient pour faire part de l’indignation générale après cette condamnation à mort expéditive de la justice allemande. La légende est née. En quelques mois, Edith Cavell devient une héroïne de la Grande Guerre. Des écoles, des hôpitaux ou encore des rues portent sont renommées pour lui rendre hommage. Le 19 décembre 1915, une petite fille née à Paris héritera de son prénom. Elle sera plus tard connue dans le monde entier sous le pseudonyme d’Edith Piaf.
Un réseau d’évasions
Cent ans plus tard, une Britannique a elle aussi décidé de baptiser sa fille Edith. "Je l’ai fait car c’était une personne incroyable et qu’elle représente une importante partie de l’histoire de ma famille", explique-t-elle à France 24. Dans les veines d’Emma Cavell coule en effet le même sang que l’illustre infirmière. "Je suis une descendante de son oncle qui s’appelait George Cavell. Edith ne s’est en revanche jamais mariée et n’a pas eu d’enfants", précise la jeune femme, historienne spécialisée dans le Moyen-âge, à l’université de Swansea.
Emma Cavell a découvert ce célèbre membre de sa famille vers l’âge de 8 ans. Son grand-père aimait lui raconter son histoire que voici : née en 1865 à Swardeston, dans le Norfolk, Edith Cavell est fille de révérend. D’abord institutrice, puis nourrice pour une famille Belge de Bruxelles, elle rentre à 31 ans au Royal London Hospital comme aide infirmière avant de devenir infirmière libre. En 1907, elle est nommée directrice d’une école d’infirmières dans la banlieue de Bruxelles. Lorsque la guerre éclate, Edith, qui était rentrée en Angleterre pour s’occuper de sa mère, décide de repartir en Belgique pour soigner les soldats alliés mais aussi allemands.
Mais son engagement prend rapidement une autre tournure. L’infirmière rejoint un réseau d’évasion mis en place par la princesse Marie de Croÿ. Cette filière, qui comptent aussi dans ses rangs les Françaises Louise de Bettignies et Louise Thuliez, permet pendant près de neuf mois de faire passer des soldats alliés de la Belgique à la Hollande, un pays neutre. Les risques sont immenses, mais Edith Cavell s’investit dans sa mission. "Elle était parfaitement consciente de mettre sa vie en danger. Elle l’avait d’ailleurs écrit dans une lettre adressée à sa mère. Mais elle a continué car des personnes avaient besoin de son aide", résume Emma Cavell.
Le refus du mensonge
À l'été 1915, le réseau finit par tomber. Comme 65 autres membres de la filière, Edith Cavell est arrêtée le 5 août. Un Français, Gaston Quien, qui s’était fait passer pour un soldat en fuite auprès de cette dernière, sera soupçonné après guerre d’avoir trahi le réseau, mais il sera finalement acquitté en 1919. L’infirmière anglaise n’aura pas cette chance. Face aux policiers allemands, elle avoue tout : "Elle était très religieuse et avait un grand sens de la morale. Quand elle a été capturée, elle a refusé de mentir. Elle a par la suite été critiqué par certains pour avoir mis en danger la vie d’autres personnes en étant honnête". Au terme d’un procès des plus rapides, elle est finalement condamnée à mort pour haute trahison, mais aussi pour espionnage, malgré les contestations des autorités britanniques.
Après son exécution, le Royaume-Uni transforme sa ressortissante en véritable martyre. Sur des cartes postales ou des affiches, la propagande de l’époque utilise la fin tragique de l’infirmière pour faire passer les "Huns" pour des monstres sanguinaires et pour inciter les jeunes britanniques à s’engager. Emma Cavell pense que cette image ne rend pas du tout justice à son aïeule : "Elle n’était pas anti-allemande. Comme infirmière, elle s’occupait de tous les soldats, peu importe leur nationalité. C’était sa profession. C’est comme cela qu’elle aurait voulu qu’on se souvienne d’elle et non comme une héroïne".
Une espionne ?
Mais un siècle plus tard, Edith Cavell n’appartient plus vraiment à sa famille. Après le rapatriement de son corps et la cérémonie conduite par le roi George V en personne, en 1919, à l’Abbaye de Westminster, elle est entrée dans l’histoire britannique. Un mythe qui continue de faire couler de l’encre.
De récentes révélations des médias anglais sont venues étayer la thèse selon laquelle l’infirmière était bien une espionne. Dans un documentaire de la BBC, Dame Stella Rimington, une ancienne directrice du MI5 (le service de renseignement intérieur britannique) affirme avoir trouvé des documents attestant que Miss Cavell fournissaient des informations à son pays. Une nouvelle qui intrigue sa lointaine parente. "Je trouve cela fascinant. En tant qu’historienne, je connais l’importance d’éplucher des archives et de déterrer de nouvelles preuves. Ma famille a toujours pensé qu’elle n’était pas une espionne, mais peut-être que c'est le cas finalement", estime ainsi Emma Cavell.
Malgré ces zones d’ombre, la jeune femme veut suivre l'exemple de son grand-père et transmettre l’histoire de son illustre cousine à sa fille : "Nous sommes des personnes différentes à des époques différentes. Je ne fais pas face aux mêmes défis qu’elle et je ne suis pas sûre que j’aurais agi de la même façon, mais je l’admire et je suis fière d’être liée à elle".