logo

Erdogan en campagne à Strasbourg : ce que pèse l'électorat de la diaspora

Officiellement consacrée au terrorisme, la visite du président turc Recep Tayyip Erdogan à Strasbourg le 4 octobre, à un mois des législatives anticipées, avait tout du meeting électoral. Il tentait de convaincre la diaspora, mais aussi la Turquie.

Plus de 12 000 personnes ont acclamé le président turc Recep Tayyip Erdogan dimanche 4 octobre à Strasbourg, lors d’un rassemblement digne d’un concert de rockstar. Intitulé "Des milliers de souffles, une seule voix contre le terrorisme", la rencontre ne devait, officiellement, pas être politique. Mais les observateurs estiment au contraire que le président Erdogan a tenu hier un vaste meeting électoral.

Après avoir abordé la menace que fait peser le "terrorisme" sur l'unité de la Turquie, Erdogan a tracé implicitement un bilan de ses années au pouvoir, évoquant la situation économique et la construction d'universités et d'hôpitaux. "C'est à vous d'éradiquer le terrorisme dans les urnes le 1er novembre", a-t-il lancé en guise de conclusion.

Pour le politologue turc Samim Akgönül, maître de conférences à l’université de Strasbourg, pas de doute : le président Erdogan était bien en campagne et il s’adressait certes à la diaspora, mais surtout aux Turcs de Turquie. "Tout relevait du meeting : le contenu comme le ton ! Erdogan n’a d’ailleurs été reçu en France par aucun officiel. Il est juste venu en terre électorale, a livré un discours retransmis sur toutes les télévisions turques et il est reparti", explique-t-il à France 24. Recep Tayyip Erdogan se rendait ce lundi à Bruxelles.

Cette visite est intervenue un mois avant la tenue d’élections législatives anticipées appelées par le président Erdogan après l'échec des tractations pour la constitution d'un gouvernement de coalition à l'issue des législatives du 7 juin 2015. "Ces élections ont été les plus démocratiques de l’histoire de la Turquie, mais le résultat n’a pas plu au parti au pouvoir et au président qui est depuis en campagne perpétuelle", poursuit Samim Akgönül.

Strasbourg, ville stratégique

Le vote de la diaspora turque européenne pèse peu face aux 53 millions d’électeurs en Turquie, mais il n’est pas négligeable et l’AKP (dont Erdogan est le fondateur)  le sait bien. Les réseaux conservateurs et mosquées turques en Europe ont d’ailleurs affrété des cars entiers pour faire venir au meeting de Strasbourg des ressortissants turcs de la France entière, mais également d'Allemagne, de Suisse et de Belgique.

Près de 7 millions de Turcs vivent dans des pays européens et environ 3 millions sont des électeurs potentiels, soit plus de 5 % du corps électoral. Après l’Allemagne, où vivent 1,5 millions de ressortissants turcs, c’est la France qui accueille le plus de Turcs avec plus de 700 000 ressortissants, dont 320 000 sont inscrits sur les listes électorales.

En période de pré-campagne, le choix de Strasbourg n’est pas innocent, même s’il n’est qu’un second choix : "Erdogan voulait tenir meeting à Bruxelles ou en Allemagne, mais cela n’a pas été possible. Donc il s’est rabattu sur Strasbourg. Mais Strasbourg reste un symbole fort", commente Samim Akgönül.

Outre le fait que la ville abrite le Conseil de l’Europe – dont la Turquie est l’un des pays fondateurs, et dont elle est désormais l’un des principaux contributeurs –, la capitale alsacienne compte une importante communauté turque. Le consulat turc de Strasbourg – l’un des six en France – représente dix départements de l’est de la France, avec 74 000 électeurs inscrits, en grande majorité acquis à l’AKP (73 % des votants turcs strasbourgeois ont voté pour Erdogan lors de la présidentielle turque de 2014).

La diaspora turque : entre conservateurs et pro-kurdes

Pendant longtemps, la diaspora turque n’a pas eu le droit de voter. Les autorités successives d’Ankara se sont d’abord méfiées du vote des immigrés des années 1960-70, plutôt conservateurs et religieux, pour beaucoup issus de la très nationaliste Anatolie, la partie asiatique de la Turquie. Puis elles ont redouté le vote des réfugiés politiques, turcs ou kurdes, de gauche et d’extrême gauche, qui ont fui après le coup d'État de 1980. "Jusqu’en 2014, le parti au pouvoir s’était opposé au vote des Turcs de l’étranger pour deux raisons : ils votaient islamistes, ou ils votaient pour les partis de gauches pro-kurdes", explique Samim Akgönül.

C’est l’avènement de l’AKP ("Parti de la justice et du développement"), parti conservateur et islamique – qui règne sans partage sur la Turquie depuis 2002 –, qui a fini par changer la donne. Les conservateurs ont ouvert le scrutin en août 2014, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel. Stratégie payante : 66 % des électeurs ont voté pour Erdogan.

Lors des législatives de juin 2015, la prédominance de l’AKP s’est confirmée parmi les électeurs turcs de France. Si seulement 36 % des inscrits se sont rendus aux urnes, 56 % d'entre eux ont donné leur voix à l’AKP (contre 41 % en Turquie). Le parti pro-kurde HDP a, de son côté, remporté 18 % des suffrages (contre 13 % en Turquie). L’enjeu est donc de taille pour le pouvoir en place, comme pour le HDP, qui doit dépasser la barre des 10 % au niveau national afin d’être représenté au Parlement.