Depuis le 30 septembre, les avions russes mènent des frappes sur le sol syrien. Ces raids, censés lutter contre la progression de l'EI, se sont surtout concentrés sur des zones d'où les jihadistes de l'organisation sont absents. Explications.
La Russie a mené depuis le mercredi 30 septembre plus de 70 frappes sur la Syrie, au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais contrairement aux allégations de Moscou qui affirme viser les positions de l’Organisation de l’État islamique (EI), la Russie est soupçonnée par les Occidentaux de voler au secours de Bachar al-Assad et de s’en prendre plutôt aux ennemis de ce dernier.
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Les frappes russes ont principalement visé les régions d'Idlib et de Lattaquié, des zones majoritairement contrôlées par le président alaouite (voir carte ci-dessous), dans lesquelles progressent et s’entremêlent plusieurs groupes rebelles islamistes comme l’Armée de la conquête, le Front al-Nosra… mais pas l’EI. "L’Organisation de l’État islamique n’est pas présente dans ces régions. Ses membres en ont été chassés par les factions rebelles dès janvier 2014", précise Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des mouvements jihadistes.
Étiquette "anti-Daech"
Ce décalage entre le discours officiel de la Russie et ses actes sur le terrain n’étonne pas Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes. Selon lui, brandir le drapeau anti-Daech est un impératif pour mener des frappes en Syrie. Mais un impératif de façade. De fait, la Turquie s’était déjà servie de ce prétexte en juillet dernier pour entrer dans le conflit.
"Ankara avait prétendu [en juillet] qu’elle frapperait les positions tenues par des jihadistes en Syrie, mais elle a surtout ciblé des positions du PKK [Parti des Travailleurs du Kurdistan, ennemi juré d’Ankara]. La Russie fait de même, elle affiche sa volonté de frapper Daech mais elle bombarde tous les groupes hostiles à Assad, qu’elle considère comme terroristes."
Lundi, une quarantaine de groupes rebelles syriens, dont l’Armée syrienne libre (ASL), ont appelé dans un communiqué à la formation d'une alliance régionale pour lutter contre ce qu'ils appellent une "occupation russo-iranienne de la Syrie".
Moscou a visé des zones du centre et de l'ouest de la Syrie, où le régime d’al-Assad a subi des camouflets durant l’été. Les rebelles anti-Assad ont progressé dans la région d’Idlib et de Lattaquié. Bien qu’ils soient toujours tenus à distance des places fortes d’Assad, ils fragilisent le régime syrien en se rapprochant du bastion alaouite. Voilà pourquoi les frapper est une priorité, avance le spécialiste des pays arabes pour justifier les raids russes. Pour contrer la "menace immédiate" qu’ils représentent pour leur allié historique, et par la même occasion sécuriser les lieux où Moscou a des intérêts.
"L’axe de vie" d’Assad
Les Russes ont bombardé Jabal al-Akrad [La Montagne des Kurdes], fief rebelle depuis 2012 dans la province de Lattaquié, d'où des roquettes sont tirées vers des fiefs du régime comme Qardaha, localité ancestrale du clan Assad. Frapper les positions rebelles dans le gouvernorat de Lattaquié, c’est aussi protéger l’aéroport international Bassel al-Assad, base aérienne de l’aviation russe, et Tartous, base navale russe. "Le Kremlin défend avant tout ses propres bases et veut s’assurer qu’elles ne sont pas à portée des missiles longue portée des rebelles"
Pour Wassim Nasr, ces raids ont aussi pour objectif de défendre le réduit alaouite du président syrien. "La Russie suit une politique en accord avec Damas qui considère que tous ceux qui ont pris les armes contre le régime syrien sont des terroristes sans distinction aucune", avance-t-il.
La région côtière est la colonne vertébrale du régime d’Assad. En partant du littoral – poumon économique de la zone grâce au port de Lattaquié – et en continuant vers Hama, Homs, Damas, on obtient l’ossature d’un axe stratégique, qui permet de faire circuler les armes et la nourriture dans les zones sous contrôle d’Assad. Perdre cet axe routier, c’est perdre un "axe de vie que les forces armées syriennes tentent de garder et de sécuriser depuis le début de la rébellion en 2011", ajoute Wassim Nasr. Et c’est donc mettre en péril tout le régime syrien.