
Alors que la Chambre des représentants américaine souhaite réduire le budget alloué au planning familial, trois femmes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux appelant à parler ouvertement de leur avortement.
"J’ai avorté en 2008. Cela m’a sauvé la vie et m’a permis d’échapper à l’emprise d’un homme abusif, émotionnellement et physiquement violent". Comme Meagan, qui a partagé en 140 signes cette expérience intime, des milliers de femmes ont choisi de parler ouvertement de leur avortement sur Twitter sous le hashtag "#ShoutYourAbortion" "Revendiquez votre avortement").
Le hashtag est devenu viral en quelques heures après avoir été lancé, le week-end dernier, par trois Américaines - Lindy West, Amelia Bonow et Kimberly Morrison – en réaction à ceux qui veulent "remettre en cause le droit fondamental des femmes à contrôler leur fertilité", dixit Amelia Bonow. Elle a initié le mouvement en faisant part de son avortement sur Facebook au lendemain du vote de la Chambre des représentants pour couper le budget fédéral du planning familial américain ("Planned Parenthood") et adopter deux propositions de loi anti-avortement.
"Vendredi", après avoir appris que le Congrès voulait couper le budget du planning familial, "j'ai passé la journée à pleurer, beaucoup de femmes sont dévastées de voir qu'en 2015 aux États-Unis c'est encore un problème, a-t-elle expliqué à Vice. J'ai écrit sur un coup de tête sur Facebook que j'avais procédé à un avortement l'an dernier, que ça avait été une très bonne expérience, que je n'ai aucun regret et que je n'en ai pas honte".
Sa parole a libéré celle de milliers d’autres qui s’expriment sans honte, ni peur, culpabilité ou remords. "J'ai lancé #ShoutYourAbortion parce que je n'ai pas de regrets et je ne vais pas murmurer avec honte", a tweeté mardi Lindy West, faisant écho, 40 ans plus tard, au "Manifeste des 343 salopes" en France. Des Françaises -des intellectuelles, des journalistes, des actrices mais aussi des anonymes- avaient alors signé un texte pour dire qu'elles avaient avorté à une époque où c'était encore passible de poursuites.
La puissance médiatique des pro-life
Aux États-Unis, où l’avortement n’est autorisé dans tous les États que depuis 2009, la question reste brûlante. La campagne "#Shoutyourabortion" a déchaîné a colère des mouvements pro-life (anti-avortement) qui ont aussitôt déployé leur force de frappe médiatique et détourné le mouvement par les hashtags "#Shoutyouradoption" (revendiquez votre adoption) ou #ShutUpyourabortion (taisez votre avortement).
"Ma mère avait décidé d’avorter mais elle a décidé de me faire adopter. Vous dites #Shoutyourabortion mais je dis "#Shoutyouradoption" Pourquoi célébrer le meurtre", écrit la twittos "Daughter of the King". Le blogger Matt Walsh écrit : "Je suis sûr que les bébés auraient adoré participer à la campagne "#ShoutYourAbortion", mais ils ont été assassinés et vendus par morceaux".
Matt Walsh fait ici référence au scandale qui éclabousse, depuis plusieurs semaines, le planning familial. Cet été, un militant anti-IVG a mis en ligne des vidéos où deux responsables expliquent qu’ils peuvent collecter et vendre des organes de fœtus avortés à des fins médicales. Depuis, l’institution est devenue la bête noire des mouvements pro-life et des conservateurs républicains qui ont aussitôt lancé une enquête.
Le planning familial dans le collimateur républicain
En pleine campagne pour la primaire présidentielle de 2016, les candidats républicains n’ont pas hésité à en faire un enjeu électoral. Rand Paul, Donald Trump, Ted Cruz, Jeb Bush ou la très véhémente Carly Fiorina se sont prononcés pour la suppression des subventions publiques au Planning familial. Le 18 septembre, le vote de la Chambre des représentants, à majorité républicaine, a été sans appel : la proposition "Cessez de subventionner Planned Parenthood" (Defund Planned Parenthood Act of 2015) a recueilli 241 votes pour, 187 contre.
Financé en 2014 à 40 % par des fonds publics, cette institution est pourtant le plus important fournisseur de services de santé aux femmes aux États-Unis. Elle gère 700 cliniques où quelques 2,7 millions de patients consultent tous les ans pour la contraception, la prévention des MST ou du cancer du sein, ou pour y pratiquer une IVG mais, dans ces cas là, sans bénéficier des financements publics. Ou pas systématiquement. Une loi des années 1970 stipule en effet que les fonds fédéraux ne peuvent être utilisés pour des avortements qu’en cas de viol, inceste ou risque pour la vie de la mère. Des circonstances dont les républicains font peu de cas.
Malgré la véhémence des conservateurs, la proposition de loi de la Chambre des représentants a très peu de chance de passer l’obstacle du Sénat. Les démocrates (légèrement majoritaire à la chambre haute) sont vent debout contre les initiatives républicaines. La favorite de la primaire démocrate, Hillary Clinton, a qualifié les vidéos du planning familial de "dérangeantes" mais regretté que les républicains s'en emparent pour stopper les subventions au Planned Parenthood. Barack Obama, de son côté, a déjà prévenu qu’il opposerait "le veto présidentiel à toute initiative républicaine visant à réduire le budget alloué à la plus importante organisation de planning familial des États Unis".