L’outsider Jeremy Corbyn, farouche militant anti-austérité, a été élu samedi avec 59,5% des voix à la tête du Parti travailliste (Labour), au Royaume-Uni. Portrait d’un autodidacte de gauche radicale, que personne n’avait vu venir.
Il a un air de vieux sage, quasi monastique. Jeremy Corbyn, 66 ans, la chemise aussi blanche que sa barbe naissante, détonne dans le paysage politique britannique. Celui qui a remporté, samedi 12 septembre, à la surprise générale, avec 59,5 % des voix, le leadership du Parti travailliste n’est pas un homme politique comme les autres. Physiquement, déjà, le nouveau chef du Labour ressemble plus à un "vieil instit barbu" à la retraite comme l’écrit "Le Monde", qu’à un fringuant homme politique. Il ne manque pourtant certainement pas d’ambition, mais ses talents d’orateur ne sont pas renversants et son style vestimentaire n'a rien de flamboyant. Longtemps, cet homme politique de gauche, voire d’extrême-gauche, inconnu du grand public, est passé pour un militant un poil désuet, certes fervent et convaincu, mais guère dangereux.
Ce temps est désormais révolu. Car en prenant la tête du Parti travailliste, samedi, Jeremy Corbyn, farouche adversaire de la politique d’austérité du conservateur David Cameron, entend amorcer un virage à gauche toute dans son parti. Virage qui effraie nombre de ses confrères, davantage consensuels, et surtout partisans d’un Labour dont le curseur politique s'est toujours positionné au centre-gauche.
"S’il remportait l’élection, le Labour serait anéanti"
Malheureusement pour eux, Jeremy Corbyn n'a rien de consensuel dans son programme. Il est, en vrac, un pacifiste, pro-palestine (pro-dialogue avec le Hamas, surtout), pro-renationalisation des entreprises, pro-désarmement nucléaire, anti-militariste, anti-libéral, anti-gros-salaires-des-grands-patrons… En clair, un homme beaucoup trop à gauche, y compris pour son propre parti. "Même si vous me détestez, ne poussez pas le Labour dans le vide", a déclaré au mois d'août l'ancien Premier ministre Tony Blair, s’inquiétant de la remontée fulgurante de Corbyn dans les sondages. "S’il remportait l’élection, le Labour ne serait pas seulement battu mais anéanti".
C’est dire la crainte qu’il inspire. Même chez les conservateurs, qui moquent pourtant régulièrement ses idées "non crédibles", "extrémistes" - et qui se frottent les mains à l’idée de récupérer l’électorat centriste échaudé par son discours radical - on le tance. "Il pourrait bien pourrir la vie de David Cameron pendant la législature. Car ce pacifiste militant ne lui sera d'aucun secours aux Communes si le Premier ministre veut repasser à l'action en Syrie", prédit par exemple le journal "Sud Ouest", dans son éditorial de samedi.
Corbynmania
Mais comment ce politique, encore inconnu avant l’été, détesté par une grande partie des travaillistes, a-t-il réussi à séduire son électorat ? Comment expliquer cette "corbynmania" ? L'homme n’a pas l’atout de la fraîcheur ni de la nouveauté. La politique, il connaît, puisqu’il est député du quartier d’Islington, dans le nord de Londres depuis 1983. Corbyn n’a pas non plus mené une campagne tonitruante à grand renfort de communicants hors pair, ses meetings se font "à l’ancienne", "sans live-tweets, et sans petites phrases choc", écrit "Le Monde". Il ressemble plus à un "has been total", comme le désignent certains travaillistes.
Mais il est authentique, clament ses partisans. Un autodidacte de la politique, amoureux fou de la cause du peuple, non-issu des grandes écoles à la Cambridge, convaincu et surtout intègre. Force est de reconnaître que son parcours public, pourtant atypique, est sans tache. Pas un tabloïd britannique, même le "Sun", pourtant très efficace lorsqu’il s’agit de trouver de vieux scandales enfouis, n’ont pu mettre la main sur une casserole. Jeremy Corbyn a pourtant été marié trois fois. Il est aujourd’hui l’époux d’une Mexicaine, Laura Alvarez, de 20 ans sa cadette.
Le chef des travaillistes a arrêté ses études à 18 ans, mais est resté un littéraire dans l’âme qui dévore George Orwell et Robert Tressell. Il s’est engagé contre la guerre au Vietnam, contre l’apartheid sud-africain, et n’a jamais caché son amitié pour le Sinn Fein nord-irlandais.
Jeremy Corbyn arrested in 1984 pic.twitter.com/txQslngABR
— sɐloɔıu ʇɐqıusɐl (@nicolasnibat) 12 Septembre 2015"Un homme politique stimulant et plein d’espoir"
"C'est rare de rencontrer un homme politique aussi stimulant et qui donne une telle énergie aux gens. Loin des petits jeux politiques où on s'insulte en comptant les points. Ici, on parle vraiment de politique. Jeremy a mené une campagne pleine d'espoir, l'espoir d'un changement", a déclaré à l'AFP un de ses partisans, James, 24 ans, lors du meeting d'Islington. Les électeurs semblent apprécier sa simplicité. "Il parle comme un être humain, de choses qui sont concrètes à mes yeux", a expliqué au "Guardian" une jeune femme qui dit avoir mis son dernier bulletin Labour dans une urne "en se bouchant le nez".
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Jeremy Corbyn a réussi à séduire une jeunesse découragée par l’austérité et la précarité de l’emploi au Royaume-Uni, par son discours social, mais il a aussi rallié des voix grâce à son opposition à la guerre en Irak et à son intention d'associer le Hamas et le Hezbollah aux pourparlers de paix au Proche-Orient. Cette semaine, Corbyn a même salué l'attitude de l'Allemagne, qui s'attend à recevoir 800 000 demandeurs d'asile en 2015. Son pays est pourtant très frileux à l’idée d’accueillir des réfugiés. "Il triomphe parce qu'il représente un rejet de la politique classique et parce que les autres candidats n'ont pas su inspirer l'enthousiasme ou l'espoir", soulignait récemment Andrew Harrop, secrétaire général de la Fabian Society, un think tank de centre-gauche.
"S’il est élu, Cameron peut dormir sur ses deux oreilles", a prédit la semaine dernière Steven Fielding, professeur d’histoire politique à l’université de Nottingham. Vraiment ? Ces derniers temps, les prédictions n’ont pas vraiment visé juste au Royaume-Uni. À la mi-juin, les bookmakers donnaient les chances de Jeremy Corbyn d’arriver à la tête du Labour à 200 contre 1…