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L'opposition républicaine au Sénat américain a échoué jeudi à bloquer l'accord sur le nucléaire iranien. Parmi les soutiens à cet accord, Negar Mortazavi, une jeune irano-américaine, dont la voix a porté tout l’été sur les réseaux sociaux.

Barack Obama n'est pas le seul à pousser un soupir de soulagement après l'échec du Sénat à barrer la route à l'accord sur le nucléaire avec l'Iran. Jeudi 10 septembre, la minorité démocrate de la chambre haute du Congrès a bloqué la "résolution de désapprobation" républicaine qui aurait empêché le président de suspendre les sanctions américaines contre l'Iran, les républicains n'ayant pas obtenu la majorité de 60 voix sur 100 requise, à deux voix près.

Negar Mortazavi est ravie : "C'est une grande victoire pour la paix et un grand jour pour la diplomatie américaine. Nous, les activistes, allons enfin pouvoir nous reposer après ces dernières semaines très intenses !". Cette activiste irano-américaine est l’un des piliers du mouvement Support Iran Deal, dont l’objectif est de montrer qu’on peut être iranien, critique du régime de Téhéran et favorable à l’accord.

Le mouvement s’est construit à coup de campagnes virtuelles et d’occupation de terrain, notamment face aux opposants à l'accord, comme mercredi 9 septembre à Washington. Quelques centaines d’Américains s’étaient rassemblés devant le Capitole à l’appel de Ted Cruz et Donald Trump, deux des candidats à la primaire républicaine. Devant une foule euphorique, Trump a dénoncé un accord "très mal négocié" et critiqué des dirigeants "très, très stupides".

"Je pensais qu’il y aurait beaucoup plus de monde vu tout l’argent qu’ils ont !", s’étonne Negar Mortazavi. Ce jour-là, la journaliste indépendante de 34 ans était venue exprès de New York pour observer et informer en direct les quelque 70 000 abonnés de son compte Twitter, dont de nombreux Iraniens avides d’information indépendante en provenance des États-Unis. Pour l'activiste, toutes les occasions sont bonnes de présenter aux Américains une autre image de son pays d’origine, auquel elle reste très attachée. D’ailleurs, elle n’hésite jamais à entamer directement la discussion avec des manifestants.

À l’un citant les liens entre l’Iran et le Hezbollah libanais pour justifier son opposition à l’accord, elle rétorque que l’Iran "n'est pas le seul mauvais acteur dans la région : l’un des objectifs de cet accord, c’est de renforcer les modérés au sein du système politique iranien". Elle dit comprendre les craintes des "anti-deal" mais selon elle, il n’existe pas de meilleure alternative.

Priorité à la paix

À l’origine de la mobilisation de Negar Mortazavi, il y a le constat que les opposants à l’accord ne reculent devant aucun moyen, en particulier financier, pour défendre leur cause. Le lobby pro-israélien AIPAC (American Israel Public Affairs Comittee) aurait prévu de dépenser entre 20 et 40 millions de dollars en clips publicitaires : “Ils ont mis en avant le côté noir de l’Iran pour montrer que l’accord était inévitablement mauvais. De nombreux jeunes Iraniens se sont inquiétés et m’ont demandé ce que nous pouvions faire", explique-t-elle.

Le 1er août, alors qu’elle est en compagnie de quelques amis, elle lance : "Créons un groupe Facebook !". Objectif : montrer que des Iraniens "jeunes et modernes" soutiennent l’accord et qu’ils ne sont pas des pro-mollahs pour autant. Le groupe s’appelle tout simplement : SupportIranDeal (soutenez l’accord iranien), il a pour logo une colombe et une branche d’olivier. Pour Negar Mortazavi et ses amis, la priorité, c’est la paix. Mais ils militent aussi pour une levée rapide des sanctions économiques, qu’ils qualifient d’injustes pour la population.

Le groupe se met à poster la photo de chaque membre du Congrès à mesure qu’ils rendent public leur soutien à l’accord. Au total, 42 sénateurs soutiennent le "deal", il en fallait au moins 41 pour empêcher les républicains de bloquer l'accord. L’avantage de ces jeunes activistes, c’est leur large réseau : ils envoient l’invitation à leurs amis, famille... et bientôt des centaines de volontaires rejoignent le mouvement. En quelques jours, le hashtag #SupportIranDeal envahit la toile et le groupe crée son site Internet. Le mouvement n'a pas de siège et pour se coordonner, les activistes discutent via les messageries Whatsapp, Viber ou Facebook. Ils appellent à un rassemblement en faveur de l’accord le 15 août à New York et Washington. Au final, des milliers de personnes participent à cette journée dans plus de quarante pays à travers le monde, de l’Allemagne au Royaume-Uni, en passant par la Suède ou encore la Corée du Sud. Un succès dont Negar Mortazavi vante la rapidité : "Nous n’avons pas de budget pour faire campagne mais nous sommes créatifs et très connectés".

Negar risque la prison en Iran

La jeune Iranienne a grandi à Téhéran dans une famille de la classe moyenne, avec des parents ingénieurs opposés au Shah et aux islamistes au pouvoir depuis la Révolution Islamique en 1979. Après des études d’art à Téhéran, elle s’envole seule vers les États-Unis en 2000 pour étudier le développement international à Boston puis rejoint le service persan de la télévision "Voice of America". En 2008, elle participe à la première campagne présidentielle du candidat Barak Obama, dont la stratégie est largement orientée vers les réseaux sociaux. Negar Mortazavi en prend de la graine.

En mai 2009, après un séjour en Iran, elle décide d’utiliser les mêmes techniques pour encourager les Iraniens à aller voter lors de l’élection présidentielle de juin. Avec des amis, ils lancent une campagne "populaire", postent des vidéos sur Internet et expliquent aux militants pro-démocratie iraniens comment utiliser les réseaux sociaux....

Des manifestations anti-régime éclatent après des accusations de fraude électorale et le rôle des activistes 2.0 devient essentiel. Depuis l’extérieur, ils relaient informations, vidéos et messages : "Je voulais rentrer en Iran mais les gens m’ont dit de ne pas revenir car ils avaient besoin d’une voix en dehors du pays, quelqu’un qui parle aux médias". Elle crée alors la campagne Where is my vote ? (Où est mon vote ?), devenue virale. "Que ce soit en 2009 ou cet été, c’est le même principe : on lance une idée et si elle est bonne, elle circule vite sur Internet !". La journaliste n’est pas retournée en Iran depuis 2009. Elle se sait surveillée par le régime et risque la prison.

Aujourd’hui, sa principale fierté est que le groupe SupportIranDeal rassemble des Iraniens issus de différents milieux : il y en a qui viennent de famille proches du Shah, d’autres sont enfants de dissidents et d’autres encore sont issus de milieux conservateurs et religieux. Ils partagent la volonté de réformer le système de l’intérieur plutôt que de risquer une révolution ou une nouvelle guerre. "Les générations de nos parents et de nos grands parents ne pourraient pas avoir ce genre d’initiative car ils sont toujours très divisés. Mais la jeune génération se dit : il faut avancer, ton père a fait des erreurs, le mien aussi, mais désormais il faut travailler ensemble pour un meilleur futur".

Des personnalités iraniennes ont choisi de rejoindre la campagne en enregistrant des vidéos avec le hashtag #SupportIranDeal. Parmi elles, le prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi et même un prisonnier politique, Zia Nabavi, qui a enregistré un message depuis sa prison.

Le message est passé. Negar Mortazavi ne prétend pas que son groupe a influencé les membres démocrates du Congrès mais elle est satisfaite d’avoir fait entendre cette voix. La jeune femme sait qu’il y a encore du travail à faire : "L’attitude générale envers l’Iran n’a pas beaucoup évolué et cela affecte la population, donc nous allons continuer à tenter d’améliorer l’image de l’Iran et des Iraniens dans le monde".