De plus en plus de médias germaniques font un parallèle entre l’accueil en Allemagne d’un nombre record de réfugiés et la réunification après la chute du Mur en 1990. Une comparaison étonnante. Explications.
Angela Merkel en est convaincue : l’afflux de migrants “va changer” l’Allemagne. La chancelière s’est exprimée, lundi 7 septembre, alors que le nombre record de 13 000 nouveaux réfugiés syriens sont entrés dans le pays sur la seule journée de dimanche. Berlin se dit prêt à dépenser six milliards d’euros pour accueillir jusqu’à 800 000 arrivants sur le sol national cette année.
Cette situation exceptionnelle incite de plus en plus de médias allemands à faire un parallèle avec la chute du mur de Berlin en 1989 puis la réunification de l’Allemagne qui a entraîné un afflux d’immigrés de l’Est dans les années 90. “Les conséquences devraient être plus profondes que celles de la réunification allemande”, écrit ainsi le quotidien “Die Zeit”. Le journal bavarois "Sueddeutsche Zeitung" quant à lui multiplie les reportages photos et les articles sur l’accueil enthousiaste réservé par les Allemands aux réfugiés. Il n’hésite pas, à cette occasion, à brandir la référence des scènes de liesse qui ont suivi la chute du Mur.
Une comparaison qui, en dehors de l’Allemagne, peut surprendre et dont il faut se méfier : “La réunification a entraîné de profonds et rapides changements institutionnels et sociétaux, ce qui n’est pas le cas avec l’arrivée des réfugiés”, souligne à France 24 Thomas Faist, sociologue, spécialiste des migrations à l’université de Bielefeld.
“Intégration réussie”
Cependant, Dietrich Thränhardt, professeur en sciences politiques à l’Université de Münster et spécialiste des phénomènes migratoires, comprend le recours à cette référence forte de l’histoire allemande récente. “La réunification est un symbole positif pour les Allemands qui le perçoivent comme un exemple d’intégration réussie, et ils veulent inscrire la situation actuelle dans la même dynamique”, explique-t-il à France 24.
Il insiste sur le rôle important joué par les médias dans la manière dont l’afflux de réfugiés est perçu. “La plupart des articles sont très positifs et dépeignent l’arrivée des migrants comme une chance pour le pays”, souligne cet expert. La presse impulse le sentiment qu’il s’agit d’un moment de solidarité et d’unité nationale digne de 1989.
La crise migratoire serait ainsi, à l’instar de la réunification, un “moment important pour la réflexion sur ce qu’être Allemand signifie aujourd’hui”, note Thomas Faist. En 1990, le débat portait sur ce qui, au-delà de la langue, définissait l’identité allemande. “Cette fois-ci, la question est de savoir comment l’Allemagne veut être perçue à l’étranger”, remarque-t-il.
Le visage d’une autre Allemagne
“Il y a une volonté de prouver que l’identité allemande ne se résume pas à son modèle économique”, souligne ce spécialiste. La crise grecque et la position de fermété de Berlin avaient donné une image de l’Allemand plus intéressé par son bien être économique que par la solidarité européenne.
L’élan de solidarité spontanée envers les migrants qui a traversé le pays ces derniers jours donne à voir une autre Allemagne. Il s’agit de montrer un pays prêt à intégrer des populations en difficulté, comme les immigrés des pays de l’Est après la chute du Mur, mais surtout comme en 1945.
“La vraie référence est celle de l’accueil après la Seconde Guerre mondiale des centaines de milliers de personnes déplacées et les Allemands chassés des pays qui avaient été occupés”, assure Dietrich Thränhardt. C’est l’autre exemple historique d’intégration réussie par l’Allemagne. “À cause de ce précédent de 1945, la plupart des Allemands assurent qu’ils peuvent comprendre ceux qui se sentent chassés de chez eux par un conflit”, note Thomas Faist.
“Les Allemands n’ont pas peur pour leur travail”
Ces deux spécialistes reconnaissent, toutefois, que la solidarité allemande envers les réfugiés doit aussi beaucoup à la bonne forme économique du pays. Sans elle, “il y aurait peut-être eu un élan spontané de la population, mais le monde politique et économique ne se serait probablement pas montré aussi prompt à se dire prêt à accueillir tous ces migrants”, estime Thomas Faist.
C’est d’ailleurs la grande différence avec 1990… lorsque le pays n’était pas aussi bien loti économiquement. Après la joie de voir le Mur tomber, l’opinion allemande avait été “beaucoup plus critique envers le projet de réunification et les personnes venues de l’Est étaient perçues comme des concurrents sur le marché du travail”, souligne Thomas Faist.
“Cette fois-ci, les Allemands n’ont pas peur pour leur travail, et perçoivent, au contraire, l’arrivée de ces réfugiés comme une chance de rajeunir une population active qui en a besoin”, note le sociologue. En clair, il serait d’autant plus simple de se montrer généreux aujourd’hui, d’après Dietrich Thränhardt, que l’Allemagne a réussi à intégrer des centaines de milliers de personnes dans des contextes économiques autrement plus difficiles, comme en 1945 ou dans les années 1990.