Le colonel Jean-Luc Kister, l'ancien agent de la DGSE qui avait fait coulé en juillet 1985 le Rainbow Warrior, ce chalutier reconverti par Greenpeace pour perturber les essais nucléaires français dans le Pacifique, a présenté des excuses.
C'était il y a trente ans. Le 10 juillet 1985, en Nouvelle-Zélande, des agents des services secrets français coulait le Rainbow Warrior, un chalutier reconverti par l'association écologiste Greenpeace pour perturber les essais nucléaires français dans le Pacifique.
Dans un entretien diffusé dimanche 6 septembre par le site d'information Mediapart, Jean-Luc Kister, ancien nageur de combat de la DGSE, s'exprime à visage découvert. Il est celui qui a posé la charge explosive qui a fait couler le navire. Revenant sur les détails de ce fiasco retentissant de la présidence Mitterrand, il présente des excuses pour cette opération au cours de laquelle un photographe de Greenpeace, Fernando Pereira, fut tué.
"Trente ans après les événements, avec les passions qui se sont apaisées, et aussi le recul que j'ai par rapport à ma vie professionnelle, j'ai pensé que c'était une occasion pour moi d'exprimer à la fois mes profonds regrets et mes excuses", déclare Jean-Luc Kister, interrogé par le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel.
Il faisait partie de la "troisième équipe" : avec Jean Camas, il était chargé de poser les explosifs pour faire couler le navire. Le capitaine Gérard Royal, frère de la ministre de l'Écologie Ségolène Royal, devait recueillir ses deux collègues en Zodiac.
Jean-Luc Kister adresse, ému, ses excuses à la famille de Fernando Pereira, aux membres de Greenpeace qui étaient à bord et au "peuple néo-zélandais". "J'ai la mort d'un innocent sur la conscience, et ça pèse."
"Nous ne sommes pas des tueurs de sang froid, ma conscience me dictait de faire des excuses et d'expliquer", ajoute celui qui était un agent de l'unité des nageurs de combat du service Action de la direction général de la sécurité extérieure (DGSE).
Il juge que la "riposte" dont ont été chargés les douze agents qui ont participé à l'opération commanditée par le ministre de la Défense Charles Hernu était "disproportionnée" et affirme que les autres scénarios, comme endommager l'arbre d'hélice du navire pour l'empêcher de naviguer, ont été refusés par le pouvoir politique. "Il y avait une volonté à un haut niveau de dire : 'Non, il faut que ça cesse définitivement, il faut une mesure plus radicale'. On nous dit : 'Non, il faut le couler'. Alors là c'est simple, pour couler un bateau, il faut faire un trou dedans. Et là, il y a des risques" liés à l'emploi d'explosifs.
Des "excuses tardives"
Pour le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard, ces "excuses tardives" rappellent que "Fernando Pereira était un innocent sacrifié au nom d'une absurde raison d'État" et que "cet attentat était un crime et non un accident". Elles "démontrent que la réponse violente ou répressive des États face à la société civile ne sert à rien", ajoute-t-il dans une réaction citée par l'AFP, appelant le gouvernement à "cesser de durcir les peines ou d'amplifier la surveillance des militants".
Dans l'interview, l'ex-agent accuse également de "haute trahison" les autorités politiques qui ont fait fuiter son nom (avec une faute d'orthographe, Kyster au lieu de Kister) après les faits. "C'est pas aux journalistes que j'en veux, c'est au pouvoir politique. Si on avait été aux États-Unis, d'autres têtes seraient tombées", estime-t-il.
Deux jours après la tragédie, deux agents ayant participé à l'opération, Alain Mafart et Dominique Prieur, qui se faisaient passer pour un couple de touristes suisses - Sophie et Alain Turenge - étaient arrêtés et démasqués. Le ministre Hernu devait démissionner deux mois plus tard.
Depuis, Paris a présenté des excuses officielles, versé des indemnités et les essais atomiques ont cessé en 1996.
Avec AFP