
Le Premier ministre Manuel Valls et plusieurs cercles de réflexion veulent faire de la réforme du droit du travail le grand dossier de la rentrée. La grande idée du moment : faire passer le code du travail au second plan.
C’est un cadeau empoisonné que le président François Hollande a fait à Myriam El Khomri en la propulsant, mercredi 2 septembre, au ministère du Travail pour y remplacer François Rebsamen. La nouvelle ministre du Travail va devoir plancher sur ce qui s’annonce comme le grand chantier économique et social de la rentrée voire de l’année, d’après "Les Échos" : la réforme du marché du travail.
"Big bang" social
La question semble être à la mode. Le Premier ministre Manuel Valls n’a-t-il pas fustigé les lourdeurs du code du travail lors du discours de clôture de l’université d’été du Parti socialiste à la Rochelle, lundi 31 août ? Elles seraient un frein à la croissance et donc à l’emploi. En outre, la remise du rapport sur les évolutions du code du travail, qui doit intervenir dans le courant du mois de septembre, est attendue comme un temps fort de la rentrée par le gouvernement.
Deux cercles de réflexion, le très libéral Institut Montaigne et Terra Nova (plus à gauche), servent, cette semaine, l’apéritif avec leurs rapports respectifs sur la "révolution du droit du travail". Les deux think tanks, peu habitués à être sur la même longueur d’onde, sont d’accord sur un point central : les accords de branche ou, même d’entreprise, doivent primer sur les règles du code du travail.
Cette proposition a tout du "big bang" social. La règle actuelle veut que le code du travail fixe les normes, et les accords d’entreprise ne peuvent y déroger sauf circonstances exceptionnelles (comme les accords de maintien de l’emploi qui peuvent jouer sur le temps de travail légal et le salaire pour sauver une entreprise de la faillite).
Les deux rapports suggèrent de mettre un terme à la primauté du code. L’Institut Montaigne affirme que l’accord de branche ou d’entreprise doit prévaloir dans tous les cas, y compris le salaire minimum, la procédure de licenciement ou la durée de travail, tandis que Terra Nova estime qu’il faut préserver quelques garde-fous comme les normes internationales du l’Organisation internationale du travail (OIT).
Une question de compétitivité
"Cette idée d’inverser la règle au profit des accords négociés a, actuellement, le vent en poupe", reconnaît Mathieu Plane, spécialiste de l’économie française à l’Observatoire français des conjonctures économiques. L’idée est simple : l’entreprise est plus proche de la réalité du terrain que la loi, et ses acteurs (employeur et syndicats) savent mieux quelles règles sont les mieux adaptées à la situation.
Donner davantage de poids aux accords de branche peut s’avérer vital pour l’entreprise. "Dans le contexte actuel de mondialisation, les cycles économiques peuvent se retourner très vite et les sociétés doivent pouvoir s’adapter très vite pour rester compétitives", explique Mathieu Plane. Changer la loi prend plus de temps que renégocier des accords dans l’entreprise. C’est le bon côté de la flexibilité.
Bombe sociale
Mais ce "big bang" est aussi une bombe sociale qui peut éclater au visage de la nouvelle ministre du Travail. Les syndicats et les frondeurs du PS ne veulent pas en entendre parler, rappelle le site économique "La Tribune". Logique : "dans les secteurs et les entreprises en difficulté, le rapport de force favorable à l’employeur risque de déboucher sur une multiplication des accords pénalisants pour les salariés", prévient Mathieu Plane. C’est le mauvais côté de la flexibilité : quand l’économie tourne au ralenti, elle est souvent synonyme de précarisation.
Aux États-Unis, les salariés ont, pourtant, accepté cette pilule amère. Bonne nouvelle pour eux : l’économie a redémarré depuis plus d’un an et le taux de chômage y est passé sous la barre 6 %.
Mais ce qui fonctionne au pays de l’Oncle Sam risque d’échouer dans l’Hexagone, d’après Mathieu Plane. "Là-bas, la Banque centrale soutient la croissance [en baissant les taux d'intérêt et en inondant le marché de dollars pour inciter les banques à prêter aux consommateurs et aux entreprises, NDLR]. Cela permet de rendre les effets négatifs de la flexibilité moins douloureux pour les salariés", souligne cet expert. En cas de perte d’emploi, ils savent qu’ils peuvent en retrouver un autre relativement rapidement. La Fed se retrouve donc être l’alliée des employés. En France rien de tel : la Banque centrale européenne n’a pas pour mission d’agir pour la croissance, mais uniquement de lutter contre l’inflation. Si le code du travail venait à perdre de sa superbe, le salarié se retrouverait, du coup, bien seul face à l’employeur.