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Hongrie : des bénévoles défient le gouvernement et accueillent les réfugiés à bras ouverts

, envoyé spécial en Hongrie – Confrontée à une arrivée massive de réfugiés à sa frontière avec la Serbie, la Hongrie a durci sa législation sur le droit d’asile. Dans un climat politique de plus en plus hostile aux migrants, des bénévoles leur viennent en aide.

Un soleil de plomb écrase le parvis de la gare de Szeged, chef-lieu de département de 160 000 habitants dans le sud-est de la Hongrie, par un après-midi caniculaire de juillet. De rares passagers descendent du tramway climatisé flambant neuf et se hâtent vers la grande bâtisse ombragée. À quelques mètres de là, une quarantaine de réfugiés afghans attendent en plein soleil : quelques familles avec enfants en bas âge, des petits groupes de jeunes hommes ou d’adolescents. Au milieu de la place, trois éviers font office de bains publics : à tour de rôle, on vient s’y brosser les dents, se raser avec un écran de smartphone en guise de miroir, ou simplement s’y asperger le visage dans des éclats de rire.

La scène est devenue banale à Szeged. Cette ville, la troisième du pays, est située à 12 kilomètres seulement de frontière avec la Serbie, soit six heures de marche à travers la forêt, les marais et les champs de tournesols.

Les deux pays font face depuis quelque mois à un afflux de réfugiés afghans, syriens ou pakistanais qui traversent les Balkans en direction de la Hongrie, porte d’entrée de l’espace Schengen. Leur nombre ne cesse d’augmenter : le 30 juillet, le gouvernement hongrois a annoncé que le cap des 100 000 migrants arrivés en Hongrie en 2015 venait d’être franchi. Au rythme actuel des entrées – près de 1 000 réfugiés par jour –, le pays devrait en voir transiter entre 200 000 et 300 000 d’ici à la fin de l’année, contre 43 000 pour toute l’année 2014. Deux ans plus tôt, seules 2 000 demandes d’asile avaient été enregistrées. Presque tous ces migrants arrivent par la frontière avec la Serbie, que le gouvernement hongrois souhaite rendre imperméable au moyen d’une clôture de 175 km de long.

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Szeged n’est pas tout à fait une ville hongroise comme les autres : "Nous avons la chance d’avoir une mairie dirigée par les partis d’opposition : c’est elle qui nous a fourni le point d’eau, le portique brumisateur et bien-sûr le cabanon où nous entreposons le matériel. Mais tout le reste, on s’en occupe", souffle Bálazs Szalai, souriant mais toujours pressé. En juin, cet informaticien de 34 ans, atterré par les conditions dans lesquelles les réfugiés avaient été chassés du hall de la gare et contraints de dormir sous la pluie à même le sol, a fondé avec quatre amis l’association "MigSzol Szeged" (pour "Migrants-Solidarité").

Désormais, pas moins d’une centaine de volontaires de "MigSzol Szeged" se relaient 24 heures sur 24. Devant le cabanon, ils distribuent à toute heure des bouteilles d’eau fraîche, des fruits, des sandwichs et des produits d’hygiène à des réfugiés exténués. Ils pansent des inflammations, des coups de soleil, d’innombrables plaies aux pieds. Mais surtout, ils aident les déplacés à accomplir les démarches pour leur demande d’asile. "Nous prenons en charge environ 500 migrants par jour, mais cela varie énormément. En tout cas, la tendance est clairement à la hausse", estime Orsolya Milián, professeur à l’Université de Szeged. La quadragénaire s’interrompt pour orienter un groupe de Nigérians venus à pied depuis Athènes.

"On leur a encore donné le mauvais papier !"

Une soudaine fébrilité rompt la torpeur estivale devant la gare de Szeged : une soixantaine de réfugiés arrivent, un formulaire en hongrois dans la main. La consternation gagne les rangs des bénévoles. "Non mais c’est pas vrai ! On leur a encore donné le mauvais papier !", se désole Orsi Szabó-Palócz. L’étudiante de 21 ans a passé le plus clair de sa deuxième journée de bénévolat avec MigSzol à guider des groupes de migrants d’une administration à l’autre, puis vers la gare : un circuit de plusieurs kilomètres à pied.

Après leur passage à la police, les migrants sont tenus de s’enregistrer à l’Office de l’immigration, où ils reçoivent une convocation à se rendre sous 48 heures dans l’un des quatre camps de réfugiés du pays, ainsi qu’un titre de transport gratuit vers leur destination. Dans les centres d’accueil notoirement surpeuplés, les réfugiés pourront alors faire leur demande d’asile, bien que pratiquement aucun ne souhaite rester en Hongrie. Nombreux sont ceux qui demandent sans ambages aux bénévoles des conseils pour se rendre au plus vite en Allemagne, en Suède, en France. La réponse est invariable : "Nous sommes de simples citoyens hongrois, on n’est pas là pour vous aider à enfreindre la loi. Vous devez demander l’asile en Hongrie, et nous, on vous aide comme on peut".

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Mais ce jour-là, rares sont les migrants qui obtiennent le précieux sésame. Les MigSzol ne tardent pas à soupçonner un fonctionnaire retors de distribuer délibérément des documents incomplets ou pas à jour. Cela n’aurait rien de surprenant : le gouvernement conservateur de Viktor Orbán a fait de l’hostilité aux migrants un des piliers de sa politique, et de nombreux Hongrois approuvent ce discours. Bálazs Szalai, lui, ne se démonte pas et photographie un formulaire erroné pour l’envoyer à l’avocat bénévole de MigSzol.

"Les autorités n’ont absolument rien à faire des réfugiés. Au contraire, elles font tout pour les désorienter et les écœurer. Quel migrant va comprendre un bout de papier en hongrois ? Comment sont-ils censés trouver tous seuls leur correspondance à Budapest ?", grommelle Márk Kékesi en débitant des tranches de pastèque – il y a eu un important arrivage. À l’instar de sa collègue Orsolya, cet universitaire de 36 ans, professeur de psychologie, profite des vacances d’été pour s’engager "entre deux et cinq heures par jour, mais souvent plus", dit-il. Certains bénévoles, des chômeurs ou des retraités, font des journées de 10, voire 12 heures. "C’est vraiment grisant de se rendre utile, d’aider ces personnes en immense détresse. Certains y sont carrément devenus accros : ils ont trouvé une échappatoire à leur médiocre quotidien", confie l’universitaire.

"Ici, c'est comme au cinq étoiles"

"Prochain train pour Budapest dans 15 minutes ! Qui veut partir ?" s’époumonent deux jeunes bénévoles. Branle-bas de combat sur le parvis de la gare. Une bonne vingtaine de candidats au départ sont escortés jusqu’au quai, les effusions se prolongent devant l’antique wagon réservé aux migrants, des packs d’eau minérale sont hissés aux fenêtres. Le convoi s’ébranle, les adieux des migrants euphoriques et des bénévoles émus se poursuivent tant que la voix porte.

Les volontaires soufflent quelques instants. Mais il faut vite retourner s’occuper de la centaine de réfugiés, moins chanceux, qui devront passer la nuit devant la gare. Hares Taraki, un Afghan de 23 ans à l’improbable crinière blonde cendrée, est de ceux-là, mais il a le moral. "Ça fait trois mois que je voyage depuis Kaboul. C’est la première fois que des gens me traitent comme un être humain. J’ai dormi dans la forêt pendant des semaines, les policiers bulgares m’ont tabassé et dévalisé. Alors ici, c’est comme au cinq étoiles".

Personne à Szeged ne sait combien de mois durera cette crise humanitaire. "Maintenant il fait chaud, mais l’hiver sera bientôt là. Espérons que l’élan de solidarité ne va pas s’essouffler", s’inquiète déjà le professeur Márk Kékesi.