La force militaire régionale, mise sur pied par le Nigeria et ses voisins pour combattre Boko Haram, aurait dû être opérationnelle le 30 juillet. Mais des problèmes d'armement et de leadership retardent son déploiement, au grand dam des civils.
Pourquoi la Force d'intervention conjointe multinationale (MNJTF) n'est-elle toujours pas opérationnelle ? Créée le 11 juin dernier par le Nigeria, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Bénin, cette "mini" armée de 8 700 hommes aurait dû entrer en action le 30 juillet. Sa mission : venir à bout de la secte islamiste Boko Haram qui ne cesse de multiplier ses attaques meurtrières dans la région. Pour les États africains, elle doit permettre de gagner en efficacité via une meilleure coordination des pays.
Mais ce jeudi 30 juillet, force est de constater que le déploiement de cette coalition est… inexistant. Il a même fallu attendre la date butoir pour connaître le nom de son chef, le général Iliya Abbah. Auparavant, la force régionale n'avait aucun commandant à sa tête. En effet, le général nigérian initialement nommé, Tukur Yusuf Buratai, a entretemps été promu chef d’État-major de l’armée nigériane.
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Pour l'heure, aucune explication officielle n'est venue justifier ce retard. Seul Chris Olukolade, le porte-parole de l'armée nigériane, s’est fendu d’une annonce aussi lapidaire que vague : la MNJTF entrera en action "d'un moment à l'autre", a-t-il simplement affirmé mardi 28 juillet.
"Chaque pays essaie de tirer la couverture à lui"
Pour Moïse Gomis, le correspondant de France 24 au Nigeria, le retard à l'allumage s’explique avant tout par un problème de leadership : le Nigeria, le Cameroun et le Tchad s'en disputent la gouvernance. Muhammadu Buhari, le président nigérian, a demandé dès le mois de juin que le commandement militaire de cette coalition soit exclusivement nigérian.
Nouvellement élu, Buhari, qui a promis d’en finir avec le groupe islamiste, accepte mal en effet l'idée qu'un pays voisin puisse se targuer de mener le combat contre des terroristes nés sur le sol nigérian. "Il y a des querelles entre les gouvernements tchadiens, camerounais et nigérians… On sait par exemple qu’il existe des tensions personnelles entre [le président camerounais] Paul Biya et Muhammadu Buhari. On sait aussi qu’il y a des différends pour savoir qui a les 'meilleures' forces armées. Le Tchad est ainsi réputé avoir une armée mieux équipée que ses voisins… C'est assez compliqué : chaque pays essaie de tirer la couverture à lui", explique le journaliste de France 24.
Embargo sur les livraisons d'armes au Nigeria
Les discussions pèchent également autour de l'armement de la coalition. Là encore, le Nigeria veut jouer un rôle prépondérant. Seulement voilà, Abuja est sous le coup d’un embargo américain sur les livraisons d’armes, puisque les États-Unis ont l’interdiction d’équiper un pays soupçonné de violation de droits de l'Homme. Or, le Nigeria a été récemment épinglé par l'ONG Amnesty international pour des exactions, des faits de tortures et d’exécutions sommaires.... dans sa lutte contre Boko Haram.
Le président nigérian, qui s’est rendu Washington début juillet, a eu beau implorer son allié américain, il n’a pas réussi à obtenir la levée du blocus. "Un constat d'échec pour Muhammadu Buhari", selon RFI. "[Le chef de l’État] a reconnu que son armée 'ne possède pas les armes et les technologies appropriées' pour lutter contre le groupe islamiste."
"Des réunions trop tardives"
Après le refus des États-Unis, le Nigeria ne peut espérer avoir plus de chances avec l'UE "en rang serré derrière le G7", analyse encore Moïse Gomis. Les Européens offrent à la coalition africaine une assistance technique, logistique mais pas d'armement. "Il va certainement falloir qu'un autre pays obtienne des armes pour équiper la coalition et Buhari supporte mal cette idée", précise le correspondant de France 24.
Afin de trouver un terrain d'entente, les chefs d'État enchaînent donc les pourparlers. Le président Buhari se trouve actuellement au Cameroun et il est attendu samedi au Bénin, dernier pays membre de la force régionale. En attendant, la situation sur le terrain ne cesse de dégénérer.
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Ces dernières semaines, les attaques de la secte islamiste ont été particulièrement nombreuses et sanglantes. Le Cameroun a fait face à cinq attentats-suicides en 15 jours, la capitale tchadienne a été frappée à deux reprises en moins d'un mois, le dernier attentat-suicide faisant 15 morts et 80 blessés, le 11 juillet, sur le marché central de N'Djamena. "Toutes ces réunions arrivent bien trop tardivement, déplore le correspondant de France 24, et pendant ce temps-là, les civils meurent."