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En Russie, les cosaques reprennent du service à la faveur de la guerre en Ukraine
Persécutés durant la période soviétique, les cosaques de Russie ont épousé le tournant autoritaire et impérialiste pris par le Kremlin au long du XXIe siècle. Maintien de l’ordre, encadrement de la jeunesse et déploiement sur les champs de bataille d’Ukraine, ils sont désormais de précieux auxiliaires de la politique de Vladimir Poutine.
Un régiment cosaque défile lors de la parade militaire organisée à Moscou le 9 mai 2025 pour célébrer le 80e anniversaire de la victoire de l'Union soviétique sur l'Allemagne nazie. © Alexander Zemlianichenko, AP

En Russie, les agents de police ne sont pas seuls à patrouiller les rues. À leurs côtés, des hommes en uniformes sont notamment présents lors des manifestations sportives, culturelles ou religieuses : les cosaques.

Figures folkloriques en Occident, les cosaques, qu'on se représente volontiers galopant le sabre au clair dans les steppes d'Europe de l'Est au service des tsars, sont redevenus des figures familières dans l'espace public russe. Ostracisés et persécutés durant la période communiste pour avoir pris le parti de l'empereur Nicolas II durant la Révolution de 1917, les cosaques ont été officiellement réhabilités en 1991, à la dislocation de l'Union soviétique.

À l'origine, les cosaques étaient une peuplade de cavaliers semi-nomades vivant en communautés autonomes dans les plaines de l'Ukraine actuelle et du sud-ouest de la Russie. Avec l'extension territoriale de l'Empire russe au XVIIIe siècle, ils deviennent sujets des tsars et s'engagent dans l'armée impériale. Traditionnellement, le statut de cosaque est héréditaire, mais il s'agit également d'un statut administratif pouvant être obtenu en s'enregistrant auprès des autorités.

"Gardiens de l'âme russe"

Ce retour en grâce s'est fait progressivement, explique Pierre Labrunie, docteur en études politiques de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du renouveau cosaque en Russie. "Dans les années 1990, on assiste à un réveil anarchique, par le bas, de la cosaquerie : certains d'entre eux mettent l'accent sur l'aspect ethnique de l'identité cosaque et demandent plus d'autonomie, d'autres insistent sur le rôle social que doit retrouver la cosaquerie."

L'État russe reprend la main dans les années 2000, conscient de la menace potentielle que représentent ces cosaques, dont la majorité sont armés et, pour certains, d'anciens militaires. Il institutionnalise leurs fonctions, notamment comme garde-frontières et milice urbaine. Des missions régaliennes qu'ils remplissaient déjà à l'époque des tsars.

"Pour l'État russe, cela représente le double avantage de canaliser leurs revendications en s'appuyant sur la tradition de service des cosaques et de suppléer dans ces domaines un État failli, très affaibli par la 'thérapie de choc' [le passage brutal à l'économie de marché, NDLR] des années 1990", explique Pierre Labrunie.

Depuis, les cosaques occupent toujours ce rôle de supplétifs des forces de l'ordre, auquel s'ajoute celui plus informel de "gardiens de l'âme russe, des traditions et des bonnes mœurs", précise l'expert, rappelant qu'ils sont très liés à l'Église orthodoxe. "Un cosaque sans foi n'est pas un cosaque", dit un proverbe russe.

Cette fonction de "police des mœurs" s'est révélée au grand jour durant les Jeux olympiques de 2014, organisés à Sotchi, dans le sud de la Russie. En marge de l'événement, des membres du groupe féministe Pussy Riot entonnent un chant hostile à Vladimir Poutine. La police n'intervient pas directement, laissant des patrouilleurs cosaques disperser violemment les militantes, qui sont frappées à coups de fouet, arme traditionnelle du maintien de l'ordre dans la Russie impériale. Un exemple parmi d'autres de ce "flou savamment entretenu" dans les prérogatives de la police et des cosaques, selon le spécialiste.

En Russie, les cosaques reprennent du service à la faveur de la guerre en Ukraine
Un milicien cosaque armé d'un fouet attaque des membres du groupe féministe russe Pussy Riot à Sotchi, durant les Jeux olympiques d'hiver de Russie, le 19 février 2014. AP - Morry Gash

Une présence accrue en Ukraine

La société russe a subi une militarisation à marche forcée sous le règne de Vladimir Poutine, qui s'est encore accélérée avec l'invasion à grande échelle de l'Ukraine en février 2022. Confronté à un conflit qui s'éternise, le Kremlin souhaite éviter une nouvelle vague de mobilisation généralisée et s'appuie de plus en plus sur des structures paramilitaires pour nourrir l'effort de guerre. Si le Groupe Wagner (devenu Africa Corps) a joué un rôle de premier rang en fournissant des mercenaires utilisés comme "chair à canon", les Corps des cadets cosaques ne sont pas en reste.

"Il s'agit d'écoles spécialisées dans lesquelles on étudie le programme général, mais avec une forte composante cosaque et une dimension martiale. On y enseigne l'histoire de la cosaquerie, l'équitation, la lutte et les chants traditionnels, ainsi que le maniement des armes", détaille Pierre Labrunie. Au nombre de 31 en 2023, ces organisations inculquent à des milliers de jeunes Russes des valeurs patriotiques, les préparant à combattre un jour les ennemis de la nation. Les cosaques interviennent aussi ponctuellement dans d'autres établissements scolaires, de la primaire à l'université.

Très actifs dans les régions du sud-est de la Russie, territoire historique où la majorité des cosaques russes vivent encore aujourd'hui, les Corps des cadets cosaques sont présents sur l'ensemble du territoire. Deux nouveaux Corps ont même été récemment instaurés dans la République populaire de Lougansk, région ukrainienne sous contrôle tombée dans le giron russe en 2014, et d'autres sont en cours de création à Donetsk, Zaporijia et Kherson, signe d'une entreprise de colonisation et d'embrigadement de la population dans ces territoires ukrainiens.

Les sociétés cosaques jouent par ailleurs un rôle "humanitaire" à l'arrière, en organisant la collecte de dons (nourriture, vêtements, équipement) auprès de la population à destination du front.

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Depuis leur réhabilitation en 1991, des volontaires cosaques ont pris part à toutes les guerres de la Russie : dans le Caucase (Abkhazie, Tchétchénie) dans les années 1990 et 2000, dans le Donbass et en Crimée lors de la première guerre russo-ukrainienne en 2014, et à nouveau en Ukraine depuis 2022. Cette fois dans une proportion bien plus large et sous un contrôle accru de Moscou.

Sous l'impulsion de Vladimir Poutine, les sociétés cosaques sont réunies en 2018 sous la bannière d'une organisation unique, la Société cosaque panrusse, à la main du Kremlin. En mars 2023, le président signe une loi instaurant la création d'une "armée de réserve cosaque".

En Russie, les cosaques reprennent du service à la faveur de la guerre en Ukraine
Carte des différentes armées cosaques de Russie, avec leur emblème respectif. De haut en bas et de gauche à droite : Armée cosaque du Grand Don, Société militaire des cosaques d'Orenbourg, du Kouban, du Terek, de la Volga, de Sibérie, du Ienisseï, d'Irkoutsk, de Tranbaïkalie, de l'Oussouri, Armée cosaque du Centre, Société militaire des cosaques de la mer Noire, du Nord-Ouest. Le dernier emblème appartient à l'armée cosaque de Zaporojie, en cours de formation. © Société panrusse des cosaques

Sur les quelque 143 000 cosaques enregistrés, plus de 60 000 ont combattu en Ukraine depuis 2022, principalement au sein de 18 bataillons spécifiques, dont les insignes et les noms renvoient à l'histoire cosaque. Ces groupes, précise Pierre Labrunie, sont en théorie pilotés par l'état-major russe, mais ont pu devenir "incontrôlables" et commettre des exactions, notamment lors des combats dans les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk.

Une "nouvelle élite" fidèle jusqu'à quel point ?

Lors de ses allocutions télévisées, Vladimir Poutine a appelé plusieurs fois de ses vœux à l'émergence d'une "nouvelle élite russe" pour remplacer celle des technocrates et des oligarques, qu'il considère comme égoïste et corrompue. Cette nouvelle caste supérieure aurait comme qualités, selon le président, des compétences martiales, le respect des lois, et une loyauté absolue.

Et aux yeux du Kremlin, les cosaques cochent toutes les cases : "Ils sont présentés comme un modèle de ce que doit être le citoyen russe, et donc un contre-modèle par rapport à un Occident perçu comme décadent. Ils incarnent l'idée d'un engagement fidèle, d'un service volontaire du pouvoir", explique Pierre Labrunie.

Pourtant, note le spécialiste, la loyauté des cosaques à Vladimir Poutine ne lui est peut-être pas autant acquise qu'il semble le croire. Après avoir connu une croissance rapide jusqu'à l'année dernière, le nombre de cosaques enregistrés a diminué de 9 000 en 2024. Si cette chute peut s'expliquer en partie par les pertes subies en Ukraine ou par la démographie, cela pourrait également être le signe d'un "désenchantement" vis-à-vis de leur statut d'auxiliaire de l'État russe. Voire peut-être le début d'un rejet du projet impérialiste de Vladimir Poutine. D'autant que de l'autre côté de la ligne de front, des cosaques combattent aussi, mais dans les rangs de l'armée ukrainienne.