L'accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne le 14 juillet va-t-il permettre de stabiliser le Moyen-Orient, à la faveur d’un semblant de détente entre Téhéran et Washington ? Rien n’est moins sûr selon les experts. Décryptage.
Après plus d’une décennie de négociations tendues, de revirements, de coups de théâtre, les grandes puissances internationales et l’Iran ont annoncé la signature d'un accord historique, le 14 juillet, à Vienne, sur le programme nucléaire de Téhéran.
Cette percée diplomatique majeure pourrait à terme ouvrir une nouvelle ère dans les relations internationales. "Cet accord, s’il se concrétise, changera la donne, car pour le Moyen-Orient et le Golfe il y aura un avant et un après accord de Vienne", explique à France 24 Khattar Abou Diab, politologue de la région et professeur à l'université Paris-Sud.
Selon ce spécialiste du Moyen-Orient, les États-Unis, et dans leur sillage les grandes puissances, ont donné une occasion en or aux Iraniens de sortir de leur isolement et de devenir des acteurs régionaux fréquentables. "Et il semble que les Iraniens ont accepté de jouer le jeu et de saisir l’occasion, car pour eux, cet accord leur offre un grand retour sur la scène internationale, et leur permet de confirmer leur rôle régional".
Antagonisme persistant
En outre, pour Washington et Téhéran, qui se sont empressés de présenter chacun de leur côté l’accord de Vienne comme une victoire, cet évènement vient tempérer une animosité née en novembre 1979, après la prise d’otages de l’ambassade américaine. Mais il est encore insensé d’évoquer un rapprochement ou une normalisation "entre deux ennemis qui peinent à se faire confiance, une confiance qui ne peut être restaurée facilement et rapidement", estime Khattar Abou Diab, qui bénéficierait à la région.
D’autant plus que l’anti-américanisme est un sentiment profondément ancré en Iran où il est inscrit dans l’ADN idéologique de la République islamique. Le guide suprême iranien, plus haute autorité religieuse du pays, l'ayatollah Ali Khamenei, ne manque jamais d’égratigner le "grand Satan" américain, sa "culture déviante" et sa "diplomatie criminelle". Mais pragmatique, il ne s’est pas opposé à des négociations directes sur la question du nucléaire, sur laquelle il a eu le dernier mot.
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De son côté, Washington, qui sous l’administration Bush avait placé l’Iran à la tête de "l’Axe du mal", affichera toujours sa fermeté et son intransigeance à l’égard de Téhéran. Et ce sera pire si les Républicains, bien plus virulents à l'égard de ce pays, parviennent à reconquérir la Maison blanche en 2016. De plus, les États-Unis ont inscrit sur leur liste noire des groupes armés pro-iraniens, comme le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien, qualifiés de terroristes et accusés de semer le trouble au Moyen-Orient.
En outre, officiellement, selon Washington, l’Iran est toujours un "État soutenant le terrorisme", qui ne reconnaît pas l’État d’Israël, l’allié indéfectible des États-Unis, très irrité par l’accord du 14 juillet. Ce qui n’a pas empêché Barack Obama de tendre la main à l’Iran, non sans franchir un pas audacieux, en septembre 2013, en engageant une conversation téléphonique avec son homologue iranien Hassan Rohani.
Des divergences profondes
D'ailleurs, et c’est tout le paradoxe de cette région tourmentée, Washington et Téhéran ont des positions diamétralement opposées sur bien d'autres dossiers épineux. Difficile de voir en effet les deux pays s’entendre sur la Syrie, où l’Iran - précisément le camp conservateur - n’est pas prêt à lâcher son allié Bachar al-Assad. Le président syrien est à la tête du seul régime arabe qui ait jamais soutenu Téhéran lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), et sa survie dépend, en plus de l’appui de la Russie, de l'aide militaire et financière du régime iranien.
De son côté, l’administration Obama, qui arme et entraîne des rebelles dans les pays voisins de la Syrie, n’a de cesse de réclamer le départ du clan Assad, et d’œuvrer pour une solution politique excluant de facto l’allié de l’Iran. "Les Américains ne sont pas prêts à réhabiliter Assad, la solution dans ce dossier ne peut intervenir sans la Russie", précise Khattar Abou Diab. Un désaccord tenace difficile à résoudre, malgré l'État islamique, à moins d’un revirement total de la part des Iraniens, bien conscients que le président syrien ne pourra asseoir de nouveau son pouvoir sur l’ensemble du pays.
Mais ce n’est pas tout. Outre la Syrie, le Yémen est également un sujet de division entre Américains et Iraniens, malgré, là-aussi, la présence d’un ennemi commun, à savoir la nébuleuse Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa). Téhéran enrage contre l'intervention militaire menée par les Saoudiens - principaux alliés arabes de Washington - à la tête d'une coalition sunnite contre les Houthis, des rebelles chiites qui ont pris le contrôle d’une partie du pays.
Finalement, la prudence reste de mise. "Il reste à savoir si ce bouleversement que provoque l’accord de Vienne sera positif ou négatif, car l’Iran peut profiter de cet accord pour maintenir ses acquis régionaux et raffermir son influence en Irak, au Liban et au Yémen, ce qui continuera d’alimenter les tensions". Et d’ajouter : "De l’autre côté, rien n’empêche les Américains de mener une politique d’endiguement de l’expansion iranienne, maintenant que la question du nucléaire est neutralisée".
Pour François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) à Londres, il faut séparer la question du nucléaire iranien des autres dossiers brûlants qui concernent Téhéran. "Les ambitions régionales de l’Iran ne disparaîtront pas, et existent indépendamment du dossier nucléaire, confie-t-il à France24. De même que son opposition à son grand rival saoudien qui ne disparaîtra pas, ceux qui comptent sur une nouvelle donne régionale risquent d’être déçus".
Ligués contre l’EI
Toujours est-il que les Iraniens et les Américains ont tout de même pris conscience, depuis un certains temps, que sur certains dossiers régionaux, leurs intérêts convergent. À commencer par la lutte contre l’organisation de l’État islamique, aux commandes d’un califat autoproclamé sur un territoire à cheval sur la Syrie et l’Irak. Indirectement, les deux pays collaborent déjà sur le volet irakien. Et ce, dans la mesure où l'Iran est engagé militairement et financièrement sur le terrain aux côtés des milices chiites, des forces kurdes et du gouvernement irakien pour contrer les jihadistes, tandis que la coalition chapeautée par Washington mène sans relâche des raids aériens contre ces mêmes jihadistes. Une entente implicite limitée, sans qu’aucune des deux parties ne le reconnaisse publiquement.