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Un collectif féministe manifeste à Paris contre le port du voile

Le 10 juillet, un collectif d’Aubervilliers organise à Paris la "journée mondiale des femmes sans voile". Une occasion pour ces militantes féministes et laïques de dénoncer ce qu’elles considèrent comme une domination patriarcale et sexiste.

"Regardez, il y a en cinq qui passent dont une qui est tout en noir !", grommèle Josiane Doan, en désignant du menton un groupe de femmes voilées qui traversent la place de la mairie d’Aubervilliers, une ville de banlieue au nord de Paris. Il n’y a que cette vision qui puisse la distraire de son discours fleuve rodé par plus de 50 ans de lutte féministe.

À 67 ans, elle fait partie du collectif des "Femmes sans voile" qu’elle a co-fondé à Aubervilliers avec Nadia Benmissi et Nadia Ould Kaci. Réunies par un combat qu’elles qualifient avant tout de féministe, les trois "pétroleuses", comme elles s’amusent à se désigner entre elles, luttent "contre tous les fanatismes religieux, contre toute forme de discrimination raciste et sexiste".

Parce qu’elles en ont marre de "l’indifférence, de la connivence et de la condescendance", comme il est écrit dans leurs tracts, elles ont rallié le "mouvement international des femmes de culture musulmane qui refusent le voile islamique". Un collectif à l’origine de la "journée mondiale des femmes sans voile", prévue le 10 juillet prochain. Née au Canada, cette initiative est organisée en réponse à la "journée du hijab" (voile islamique), décrétée tous les 1er février depuis 2012. Sa date, le 10 juillet, a été choisie en hommage à la naissance de Thérèse Forget-Casgrain, militante féministe qui s’est battue toute sa vie pour les droits des femmes au Québec.

Conflit générationnel

Josiane et les Nadia se battent pour les "femmes de France et d’ailleurs", à commencer par celles de leur banlieue. Albertvillariennes depuis des décennies, elles disent avoir vu le voile s’imposer peu à peu dans leur ville pour recouvrir les têtes des femmes "d’origine", des converties et même celles, disent-elles, de petites filles. Force est de constater que dans les rues du centre-ville, les voiles noirs, colorés ou fleuris sont nombreux en ce mois de ramadan.

Dans les faits, il est difficile de chiffrer ce phénomène en France, mais les spécialistes s’accordent sur l'augmentation du voile depuis une vingtaine d’années. Tandis que les générations précédentes ont lutté pour l’enlever, des jeunes femmes, enfants d’immigrées ou converties à l’islam, prêchent pour un retour au religieux et le droit à l’affirmation de leur foi.

Un groupe Facebook intitulé "Pourquoi ai-je décidé de porter le voile ?" recueille les témoignages de celles qui revendiquent le "retour à la foi" dans tout ce qu’il a de plus moderne. On peut y voir notamment une infographie sur les "bénéfices incontestables du hijab", à savoir : "la pudeur, la neutralité, la piété, la mode, la beauté, l’économie, l’écologie, le respect". Ou encore le témoignage d’une lycéenne qui semble tirer une fierté à surmonter les difficultés liées à son choix : "En lisant le Coran, j'ai su que c’était une évidence : Allah nous demande de porter le voile. (…) Alors me voilà voilée. C'est une magnifique sensation mais il y a des fois où c'est dur ! On a l'impression que tout le monde nous dévisage, on a chaud lorsqu'arrive l'été. Mais Wallahi que c'est un plaisir…", écrit-elle.

Un conflit générationnel qui laisse Nadia Ould Kaci perplexe. "Pure Beure du 93", née à Saint-Denis, élevée à la Courneuve et habitante d’Aubervilliers depuis 40 ans, elle dénonce "un raz-de-marée". "Dans le bus, je suis souvent la seule femme 'd’origine' non voilée !", assure-t-elle. Son origine, c’est la Kabylie, et à la maison, sa mère n’a jamais porté le voile : "Ma mère a eu huit enfants parce que c’était une autre époque, qu’il n’y avait pas de contraception ni d’avortement. Aujourd’hui, elle a 92 ans et quand elle voit tous ces filles voilées, elle me dit : ‘Qu’est-ce qu’elles veulent pour leur avenir, pourquoi elles font ça ?'"

"Une manipulation de la religion"

Pour Nadia Benmissi, une Algérienne de "culture musulmane" arrivée en France il y a 25 ans, le pourquoi est tout trouvé. Ce phénomène est le fruit du travail de prosélytisme des "barbus". "L’année dernière, j’ai organisé un vide-grenier dans mon quartier, et ils passaient de stand en stand pour demander aux femmes de se voiler !", raconte-t-elle.

Cette professeure de SVT au collège vit son militantisme comme un combat. Quand elle se confie dans les rues d’Aubervilliers, elle baisse la voix et surveille ses arrières : "Quand on tracte sur les marchés, on se fait traiter de mécréantes. On pourrait être menacées, on prend des risques en nous exposant, mais c’est pas grave. On mène un combat."

Selon elle, un rapport de force s’est mis en place dans la ville entre voilées et non voilées et la codification vestimentaire s’est imposée aux femmes de plus en plus jeunes – voire à des fillettes de 5 ou 6 ans, sous la pression d’un "communautarisme" qui n’existait pas jusque-là. "Nous demandons au Sénat d’interdire le voile pour les mineurs", s’exclame la militante qui n’a pas hésité à écrire une lettre ouverte au CFCM en réaction à sa Convention de juin 2014 qui recommande le port du voile.

"Le retour du voile est lié à une manipulation de la religion. Le Coran n’impose pas aux femmes de se voiler de manière littérale, tout est une question d’interprétation", s’insurge Nadia Benmissi. Elle estime que la prise de position du CFCM est une "régression", en contradiction avec "la liberté de conscience et l’égalité des sexes, des droits fondamentaux protégés par la loi en France".

Le voile, une forme de féminisme ?

En réponse, ses détractrices évoquent elles aussi l'argument de la liberté. "Si les femmes ont la liberté de se découvrir, pourquoi n’auraient-elles pas la liberté de se couvrir ?", écrit une internaute sur Facebook. Interrogée en 2012 par France 24, Lila Citar, militante pour l’association "Amazones de la liberté" qui combat la loi française interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics, revendiquait même son choix comme une "forme de féminisme". "Le seul avantage de cette loi est d’avoir pu montrer que nous ne sommes pas des femmes soumises", expliquait-elle alors.

Un argument qui fait bondir Josiane Doan. "Qu’elles aillent dire ça dans les pays où on tue les femmes pour qu’elles portent le voile", s’étrangle-t-elle. Celle qui complète le trio n’est pas "d’origine". Enfin, pas de la même. Cette fonctionnaire retraitée à l’accent qui chante est née dans les Alpes de Haute-Provence, près de Toulon. Parce qu’elle n’a pas la "figure" - autrement dit, la légitimité de l’origine maghrébine que partagent les deux Nadia - elle s’est sentie bâillonnée pendant 20 ans : "Sous prétexte d’islamophobie, je me suis tue pendant des années." Pourtant, elle est bien placée pour savoir que l’oppression patriarcale a peu à voir avec l’origine ou la religion.

Élevée dans une famille rurale qu’elle qualifie "d’arriérée", Josiane a passé son enfance "séquestrée" : "Ma mère allait à l’église en habit noir avec son chapeau sur la tête et mon père fermait la porte de la cour pour nous empêcher de sortir de la maison", se souvient-elle. Chez elle, les femmes n’avaient de droit que celui de se taire. "Ma mère disait que les femmes étaient des meubles", raconte celle qui dit avoir découvert que toutes les femmes ne portaient pas de tablier à la télévision, au début des années 1960. "Étonnant, hein ? Parce qu’aujourd’hui, les choses ont bien changé, mais c’est parce qu’on s’est battues", interpelle-t-elle. Alors elle considère le voile comme le déni de toutes ces années de combat : "Le voile est l’expression la plus flagrante de l’univers carcéral dans lequel vivent les femmes de manière permanente."

Son message radical sera-t-il entendu ? "Les femmes sans voile d’Aubervilliers" comptent en tout cas le clamer haut et fort, le 10 juillet, place de la République à Paris, à 18 heures. Elles espèrent réunir plus de monde qu’en 2014, première année de la manifestation où elles avaient peiné à rassembler une centaine de personnes. "Charlie Hebdo" était venu couvrir l’événement. Luz avait croqué pour l’occasion une femme à poil sous sa burqa, prenant un malin plaisir à la retirer et la remettre, sous le regard convulsé d’un "frère" qui finit par faire une syncope tandis que la provocante s’envole, seins et cul à l’air, en criant "liberté !"