
La justice vient de refuser d'indemniser douze militaires à la retraite qui ont été exposés aux radiations des essais nucléaires français effectués en Algérie, dans les années 1960. Leur avocat dénonce un traitement inégalitaire.
Planter le drapeau national est souvent un honneur dont les soldats se souviennent avec fierté. Pour Gérard Dellac, un ancien soldat français envoyé en mission en Algérie en février 1960, il s'agit au contraire d'un moment à oublier. À l'époque, c'est lui qui avait été envoyé pour planter le drapeau tricolore sur le site du premier essai nucléaire français - une opération militaire baptisée "Gerboise Bleue" - dans le désert algérien.
“Personne ne nous a dit que c’était dangereux”, déplore-t-il dans un entretien accordé à FRANCE 24. Lorsqu'il travaillait sur le site où s'est déroulé l'essai atomique, il portait une combinaison en toile, des gants en caoutchouc et un masque à gaz datant de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, celui-ci souffre d’un cancer de la peau, une maladie qu'il impute à son exposition aux radiations nucléaires dont il a été victime en Algérie... Malheureusement, la cour d'appel de Paris vient de rejeter le dernier recours qu'il avait introduit pour obtenir réparation.
"On s’en doutait, mais je ne pensais pas que le procès allait se dérouler comme cela. C’est un moment difficile à vivre",
confie-t-il dans un interview avec FRANCE 24.
Le 22 mai, la justice française a également refusé d’accorder des indemnisations à onze autres anciens militaires français qui s'étaient lancés dans la même procédure. Michel Verger, président de l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), ne décolère pas. “Nous accueillons ce jugement scandaleux avec un sentiment de colère”, lâche-t-il.
Cette décision intervient quelques jours seulement avant la tenue d'un conseil des ministres consacré à la mise au point d'un plan d’indemnisation pour les personnes - civiles ou militaires - tombées malades après avoir participé aux 210 essais nucléaires pratiqués par la France en Algérie et en Polynésie, entre 1960 et 1996. Quelque 150 000 personnes - sans compter les populations locales - sont susceptibles d'être concernées.
Une longue bataille juridique
En rendant un tel jugement, la cour d’appel de Paris donne raison à la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), qui avait rejeté la plainte des militaires en février 2009. Pour elle, la requête n’était pas recevable, car les événements sur lesquels elle portait sont antérieurs à 1976, date de création de la Civi.
Les ex-militaires avaient demandé réparation en se basant sur des indemnisations accordées par cette même commission à des employés qui avaient contracté des maladies graves après avoir été longuement exposés à de l’amiante, dès avant 1976. La Civi avait alors estimé que l’État français était en faute, parce qu'il n'avait pas modifié les règles relatives à la protection de la santé des citoyens français exposés à l’utilisation de l’amiante.
Selon François Lafforgue, l’avocat des plaignants, civils et militaires ne devraient pas faire l'objet d'un traitement différent. "La plupart des salariés sont indemnisés. Les militaires, eux, sont laissés de côté. C'est inadmissible", s’insurge-t-il.
Sur les douze militaires victimes de cancers de la peau, du sang ou des reins, qui ont porté plainte, cinq sont encore en vie aujourd’hui. Ils ont demandé à être indemnisés à hauteur de cinq millions d’euros environ.
La cour d’appel de Paris a estimé qu'ils auraient dû déposer plainte devant un tribunal des pensions militaires. Une juridiction qui n’a accordé des réparations qu’à un nombre très restreint de vétérans jusqu'à présent.
"Un rapport de l’armée montre que j’ai reçu 1,500 milirams de radiation, affirme Gérard Dellac. Néanmoins, l’armée a refusé de m’accorder des réparations au motif que mon taux d’irradiation était 'trop bas' ."
Les avocats des victimes assurent que les critères de l’armée française sont obsolètes car ils ne prennent pas en compte les effets à long terme des essais nucléaires.
Un projet de loi déjà contesté
Après ce nouvel échec devant la justice, les vétérans attendent beaucoup du gouvernement qui devrait discuter mercredi 27 mai d’un projet de loi allouant 10 millions d’euros aux victimes des essais nucléaires français. Dans une déclaration qui a suscité la polémique, le ministre de la Défense Hervé Morin a affirmé, fin 2008, que seules "quelques dizaines ou quelques centaines" de personnes pourraient être concernées par les indemnisations.
Pour Gérard Dellac, le ministre sous-estime l’étendue du désastre. "Notre association compte quelques 450 veuves, rappelle-t-il. Ce n’est pas rien."
Selon le Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN), quelque 150 000 personnes, travailleurs civils ou militaires - sans compter les populations locales -, sont susceptibles d'être concernées.
Lisez l'intégralité de la décision de la cour d'appel de Paris du 22 mai 2009 (document pdf)