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Turquie : Erdogan veut intervenir en Syrie, l’armée rechigne

Le gouvernement turc et les responsables de l’armée ont évoqué lundi la situation en Syrie. Si Erdogan et son Premier ministre encouragent une intervention militaire contre l'avancée kurde dans le nord du pays, l’armée, elle, montre des réticences.

L’armée turque va-t-elle bientôt intervenir en Syrie ? Pour répondre à cette question épineuse, le président Recep Tayyip Erdogan, le gouvernement et les responsables de l'armée ont fait le point, lundi 29 juin, sur la situation dans le pays voisin. Pendant plus de quatre heures, le Conseil national de sécurité (MGK) a "évalué en profondeur les récents événements survenus en Syrie, discuté des menaces potentielles et des mesures de sécurité supplémentaires prises le long de la frontière", a rapporté la présidence dans un communiqué. Dès le lendemain de la réunion, l'agence de presse Dogan a rapporté le déploiement de renforts militaires, notamment de blindés, près de la frontière.

Depuis plusieurs jours, les médias turcs affirment que le gouvernement envisage une opération militaire en Syrie. En plus de repousser loin de ses frontières les jihadistes de l’organisation de l’État islamique (EI) et d'empêcher la progression des forces kurdes, une telle opération aurait, selon certaines sources, pour but de créer une zone tampon permettant de contenir l’afflux de réfugiés. D’après le quotidien pro-gouvernemental "Yeni Safak", quelque 18 000 soldats turcs pourraient y prendre part.

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Cette intervention marquerait un changement de stratégie net pour le gouvernement turc qui a brillé, depuis le début de la guerre en Syrie, par sa passivité. En octobre dernier, alors que le Parlement turc avait autorisé l'armée à intervenir militairement en Irak et en Syrie contre les jihadistes, le gouvernement était resté l'arme au pied pendant toute la bataille pour le contrôle de la ville frontalière syrienne de Kobané.

Freiner l’avancée kurde

Ce revirement s’explique notamment par la récente progression des Kurdes dans le nord de la Syrie, vue d’un très mauvais œil par Ankara. Ces forces, proches des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mènent la rébellion en Turquie depuis 1984, ont chassé mi-juin les jihadistes de l’EI de la ville frontalière syrienne de Tall Abyad, dans le nord du pays. Elles tiennent désormais une grande partie de cette zone.

Il n’en fallait pas plus pour réveiller les dirigeants turcs du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), qui ont depuis manifesté à plusieurs reprises leur inquiétude. Ils ont par ailleurs accusé ces derniers jours les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes de procéder à un "nettoyage ethnique" dans les régions syriennes tombées sous leur contrôle.

En faveur d’une intervention militaire, le Premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu, qui expédie les affaires courantes depuis les législatives du 7 juin à l'issue desquelles son parti a perdu la majorité absolue, a ainsi réaffirmé mardi qu'il n'accepterait pas de "fait accompli" dans le nord de la Syrie. Le chef de l'État, Recep Tayyip Erdogan, avait de son côté répété dimanche 28 juin que son pays "ne [permettrait] jamais l'établissement d'un nouvel État" dans cette même zone, en référence à une région autonome kurde de Syrie susceptible d'inspirer les quelque 15 millions de Kurdes de Turquie.

L’armée turque traîne des pieds

Si la mission se confirme, les militaires auront, en Syrie, pour tâche d’affronter à la fois les troupes de Bachar al-Assad, les jihadistes de l’EI et les Kurdes. Un contexte particulier qui pourrait avoir des impacts négatifs sur le pays, selon le chef d'état-major de l'armée turque, le général Necdet Özel, lequel a freiné le processus en demandant au gouvernement de lui adresser un ordre écrit avant toute intervention.

Selon ce général, qui doit quitter ses fonctions en août, une telle opération pourrait en effet déclencher des représailles de la part de l’EI sur des civils en Turquie, ou encore envenimer les tensions entre Ankara et le PKK sur le territoire turc, alors même que le pays connaît une paix relative depuis trois ans.

De plus, au-delà de ces raisons stratégiques, l’armée turque rechigne à s’engager dans une action militaire commanditée par un parti politique en perte de majorité parlementaire. Après la défaite de l’AKP aux élections du 7 juin dernier, des discussions doivent avoir lieu dans les prochains jours avec le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) pour former un gouvernement de coalition. En fonction du nouveau visage de ce gouvernement, la stratégie offensive de la Turquie envers la Syrie pourrait bien voler en éclats.

Avec AFP