logo

Jusqu’où ira Israël pour protéger les druzes de Syrie ?

En Israël, la communauté druze s'inquiète pour ses coreligionnaires en Syrie menacés par les jihadistes d'Al-Nosra. Elle exige de l'État hébreu qu'il cesse de soigner des rebelles et qu'il vienne en aide aux druzes de Syrie. Éclairage.

Les druzes d’Israël ont manifesté leur fureur, lundi 22 juin au soir : des dizaines d’habitants du village druze de Majdal Shams, situé dans la partie du plateau du Golan annexée par Israël, ont attaqué une ambulance militaire israélienne transportant deux blessés syriens. Ils ont ensuite tiré les deux blessés de l'ambulance, les accusant d'être des combattants rebelles en Syrie. Puis se sont livrés à un lynchage à coups de pierres, sans précédent de ce côté du Golan, tuant l'un des deux blessés et laissant le second dans un état critique.

La cause de leur colère : les druzes de Syrie sont depuis peu la cible du Front al-Nosra, un groupe de rebelles jihadistes, affilié à Al-Qaïda, qui se bat contre le pouvoir syrien et a enregistré d'importants succès ces trois derniers mois. Tout a commencé à la mi-juin, lorsque les combattants d’Al-Nosra prennent d’assaut le village druze de Qalb al-Loze dans la province d’Idleb, dans le nord de la Syrie, tuant au moins 20 villageois. C’est la première fois depuis le début du conflit en Syrie, en mars 2011, que cette minorité religieuse est ainsi prise pour cible. La tension monte d’un cran le 17 juin, quand des rebelles encerclent un village druze situé sur le plateau du Golan, côté syrien.

Israël accusé de soigner des combattants d’Al-Nosra

Les druzes, minorité musulmane hétérodoxe dont la religion dérivée de l’ismaélisme est essentiellement secrète, sont présents en Syrie, au Liban et en Israël, où ils constituent une minorité importante regroupée principalement dans le nord de l’État hébreu. La plupart d'entre eux, soit environ 110 000 personnes, ont la nationalité israélienne et sont astreints au service militaire obligatoire, contrairement à d'autres minorités arabes.

En Syrie, ils représentent environ 3 % de la population et sont concentrés en majorité dans le Jebel druze (montagne des druzes) dans la province méridionale de Soueida, dans le sud de la Syrie, non loin du Golan. On en trouve également au nord, dans la province d’Idleb et le long du plateau du Golan. Leur religion est considérée comme une hérésie pour le sunnisme rigoriste des jihadistes.

Un temps à l'écart des affrontements entre partisans et opposants au régime de Bachar al-Assad, les druzes de Syrie ont été rattrapés par la guerre civile qui ravage le pays depuis plus de quatre ans : ils sont désormais pris en étau entre des groupes rebelles et des jihadistes internationaux, étant traditionnellement partisans du régime de Bachar al-Assad.

"Les druzes entretiennent une empathie très forte vis-à-vis de leurs coreligionnaires à travers les frontières", explique à France 24 Frédéric Encel, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) et spécialiste du Moyen-Orient. Le sort des druzes de Syrie suscite ainsi émoi et colère chez leurs coreligionnaires en Israël et sur le Golan occupé par l'État hébreu, dont certains sont parents. Les lynchages de lundi ont été précédés de manifestations, d'au moins deux attaques contre des ambulances et d'appels au gouvernement israélien, soit à intervenir en Syrie, soit à cesser de soigner des combattants rebelles. Car chez beaucoup, la rage est grande de penser qu'Israël porte secours à des rebelles, ce dont s’est toujours défendu l'État hébreu, affirmant que les 1 600 Syriens qu'il a soignés ces trois dernières années étaient tous des civils. Mais les druzes n'en croient rien.

Le pacte de sang

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a qualifié l'incident de "très grave" et promis de "faire justice avec les responsables de cette attaque", selon un communiqué de son bureau. Mais l’ire des druzes d’Israël est d’autant plus grande qu’ils ont toujours été fidèles à l’État hébreu et impliqués dans la vie politique. L’un des ministres de Netanyahou est d'ailleurs un membre de la communauté druze.

"Une autre caractéristique des druzes est leur loyauté envers les pays dans lesquels ils vivent", poursuit Frédéric Encel, qui précise qu’ils font souvent le choix de servir dans l’armée, l’image de l’officier étant valorisée dans leur communauté. En échange, ces autorités ne se mêlent pas de leurs affaires, en matière de religion, ou de mariage notamment, puisqu’ils sont endogames (les mariages se font en grande majorité à l’intérieur de la communauté).

L’enseignant rappelle ainsi qu’en Israël, dès 1948, "les druzes, bien qu’arabophones, se sont placés du côté des juifs, et ont demandé à servir l’armée. Par la suite, nombre d’entre eux sont morts au combat". Cette alliance très forte et ancienne entre les druzes et Israël est souvent appelée le "pacte de sang" : en échange de leur sang versé au combat, les druzes attendent la protection pour leur communauté.

Selon Frédéric Encel, "Israël envisage très favorablement d’aider des druzes situés hors de ses frontières", au regard de cette alliance et de cette loyauté. "Je suis convaincu que si les druzes en Syrie étaient menacés d’un massacre tel que celui des Yazidis en Irak par exemple, l’État hébreu agirait pour les défendre", soutient-il. Toutefois, une intervention militaire quelle qu’elle soit resterait un dernier recours pour Israël, selon le spécialiste. Pour ne pas arriver à cette extrémité, il estime plausible l’hypothèse d’une "négociation secrète entre les autorités israéliennes et Al-Nosra dans le but d’épargner les druzes en Syrie".