Avec "Masaan", son premier long-métrage, Neeraj Ghaywan suit les affres d'une jeunesse indienne en quête d'émancipation dans un pays tiraillé entre tradition et modernité. Un film choral convenu, comme taillé pour les festivals internationaux.
Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine : le film choral indien "Masaan", premier long-métrage de Neeraj Ghaywan ; et "L'Inquiet", premier volet de la fresque des "Mille et une Nuits" que Miguel Gomez a consacré aux ravages de l'austérité au Portugal.
Serions-nous en train d’assister à la naissance du Nouveau Bollywood, comme il y eut le Nouvel Hollywood durant les années 1970 et 1980 ? S’affranchissant des codes régissant les fresques chantées et dansées qui ont fait - et continuent de faire - les grandes heures du cinéma indien, une nouvelle génération de réalisateurs s’emploie depuis peu à dépeindre les mutations de leur pays avec une ambition qui n’est pas sans rappeler celle des réalisateurs américains de la seconde partie du XXe siècle.
Épopée indienne mâtinée de folklore mafieux à la Martin Scorsese, "Gangs of Wasseypur" d’Anurag Kashyap dressait ainsi, en 2012, un portrait sans concession de "la plus grande démocratie du monde", gangrénée par la violence, la corruption et la soif inextinguible de pouvoir. En 2014, Kanu Behl se délivrait, lui, de la candeur bollywoodienne avec "Titli", drame social sur un jeune homme de la banlieue de Dehli essayant de fuir la condition de voyou promise par sa famille de bandits.
Avec son premier long-métrage, "Masaan", Neeraj Ghaywan affiche cette même volonté d’émancipation en racontant, à la manière d’un film choral, celle de jeunes Indiens pris dans les paradoxes d’un sous-continent tiraillé entre tradition et modernité. Nous sommes à Bénarès, ville sainte bercée par le Gange. Étudiante en fin de cursus, Devi (Richa Chadda) est sous la menace d’une inculpation pour complicité d’homicide. En fait, la jeune femme doit être jugée pour le suicide de son amant qui a mis fin à ses jours après que les forces de l'ordre les ont surpris en plein ébat hors mariage. Pour éviter l'opprobre d'un procès médiatisé, son père (Sanjay Mishra) accepte de graisser la patte d'un policier véreux.
Parallèlement, le film suit Deepak (Vicky Kaushal) dont le quotidien est rythmé par ses études d’ingénieur, un travail de nuit au crématorium où officie son père et des rendez-vous galants avec une jolie demoiselle des quartiers riches à qui il n’ose avouer ses origines très modestes d’"intouchable".
Impression de déjà-vu
Corruption policière, poids de la société patriarcale, déterminisme social hérité du système des castes… En suivant la trajectoire de ces deux destins, Neeraj Ghaywan dresse, avec une exhaustivité de chercheur en sciences sociales, la liste des plaies qui font que l’Inde n’est pas encore ce pays moderne auquel aspire une certaine fange de la jeunesse. Comme la plupart des productions polyphoniques, "Masaan" est avant tout un film de scénario : bien construit, proprement écrit, tout se tient, rien ne déborde. Les deux histoires principales déploient indépendamment leurs lots d'épreuves, de drames et de rebondissements avant de se rejoindre dans un final somme toute assez convenu.
On ne peut s’empêcher de voir dans "Masaan" une sorte d'état des lieux sociologiques à l’usage des Occidentaux. En clair, un film taillé pour les festivals internationaux (il fut projeté au dernier Festival de Cannes, dans la section Un certain regard). En lorgnant vers la narration à l’anglo-saxonne, le premier long-métrage de Neeraj Ghaywan offre une impression de déjà-vu. La société indienne, complexe et mal connue, aurait peut-être mérité meilleur traitement.
-"Masaan" de Neeraj Ghaywan, avec Richa Chadda, Vicky Kaushal, Sanjay Mishra... (1h45).