La polémique enfle en Afrique du Sud, après la fuite du président soudanais Omar el-Béchir, recherché par la Cour pénale internationale, malgré une décision de la justice sud-africaine lui interdisant de quitter le pays.
Le torchon brûle en Afrique du Sud, entre la justice et le gouvernement, après la fuite rocambolesque du président soudanais Omar el-Béchir, malgré une décision de la justice sud-africaine lui interdisant de quitter le pays, où il se trouvait à l’occasion du sommet de l'Union africaine (UA) à Johannesburg.
Couac ou entrave à la justice ?
Lundi, un tribunal de Pretoria a carrément accusé le gouvernement sud-africain d’avoir violé la Constitution en laissant fuir l’autocrate soudanais, recherché, pour génocide, par la Cour pénale internationale (CPI). "L'attitude [des autorités] qui ont échoué à prendre des mesures pour interpeller et arrêter le président du Soudan Omar el-Béchir est en contradiction avec la Constitution de la République sud-africaine", a déclaré le juge Dunstan Mlambo.
"Nous sommes déçus qu'il n'ait pas été interpellé", a également réagi James Stewart, adjoint de la procureure Fatou Bensouda : "Notre position a toujours été que l'obligation incombant à l'Afrique du Sud est claire, elle devait l'arrêter".
La veille, le tribunal, saisi par une ONG, la Southern African Litigation Centre, avait frappé Omar el-Béchir d'une interdiction provisoire de quitter le pays, le temps de se prononcer sur une demande de la CPI. Quand la Haute Cour de Pretoria a fini par indiquer que le gouvernement sud-africain devait tout mettre en œuvre pour arrêter et détenir le suspect, en vertu du droit international et de la Constitution sud-africaine, il était déjà trop tard, et le dirigeant soudanais était dans l'avion pour Khartoum. Couac gouvernemental ? Arrangements entre amis ? Entrave à la justice ?
De leurs côtés, à aucun moment les autorités soudanaises n'avaient laissé paraître le moindre signe d’inquiétude. Elles avaient même indiqué, avant la décision de justice, avoir reçu des assurances sur la liberté de mouvement du président Béchir.
"C'est embarrassant pour l'Afrique du Sud qui aurait pu éviter cette situation, tout simplement en ne l'autorisant pas à venir", a commenté Jakkie Cilliers, directeur général de l'Institut des Études de Sécurité (ISS, Pretoria). Sans compter que "sa présence a détourné l'attention des vrais problèmes du continent". "Mon impression est qu'en le laissant venir, [les dirigeants sud-africains] voulaient démontrer au reste du monde qu'ils partagent le point de vue de l'Afrique sur la CPI", a-t-il ajouté.
Voire le même point de vue que le controversé président zimbabwéen Robert Mugabe, actuellement à la présidence tournante de l'UA : "Ici, ce n'est pas le siège de la CPI et on n'en veut pas dans la région", a rétorqué celui-ci lors du point presse de clôture du sommet continental. "Les États africains qui ont signé le traité de la CPI, le regrettent désormais", a-t-il ajouté.
L’image du pays écornée
Toujours est-il que dans la soirée, peut-être pour sauver les apparences, le gouvernement sud-africain a répliqué dans un communiqué prenant acte du jugement, pour annoncer l’ouverture d’une enquête "sur les circonstances dans lesquelles le président soudanais a quitté le pays".
Pourtant, dès le 28 mai, la CPI avait notifié à l'Afrique du Sud son obligation statutaire, en tant qu'État membre de la Cour, d'arrêter et de lui remettre M. Béchir si celui-ci se rendait sur son territoire. Sans surprise, les adversaires du président Jacob Zuma, ont dénoncé l'attitude du chef de l'État qui a choisi selon eux d'ignorer la propre justice de son pays. "Notre réputation internationale est en lambeaux", a regreté un haut responsable de l'Alliance démocratique d'opposition, John Steenhuisen.
Un avis que ne partage pas la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma – qui n’est autre que l’ex-épouse de Jacob Zuma –, présidente de la Commission de l'UA, qui a fait mine de s'étonner : "Je ne sais pourquoi on en fait tout un plat aujourd'hui". Selon elle, l'UA jouit d'un statut extra-territorial, et obéit à ses propres règles, pas celles du pays hôte: "On est peut-être géographiquement en Afrique du Sud, mais ici c'est l'Union africaine".
Après avoir soutenu jusqu’au bout, à l’époque, le Libyen Mouammar Khadafi, l’Ivoirien Laurent Gbagbo, et n’avoir jamais critiqué son voisin controversé le Zimbabwéen Robert Mugabe, Jacob Zuma, s’affiche une nouvelle fois comme solidaire des autocrates africains les plus décriés. Non sans ternir l’image de son pays, et brouiller sa diplomatie.
Avec AFP et Reuters