Pour la première fois depuis 1975, l’Arabie saoudite a cédé, en 2014, sa couronne de premier producteur de pétrole aux États-Unis. Un changement qui n’est pas que symbolique et pourrait avoir de profondes répercussions géopolitiques.
C'est fait, le nouveau roi de l’or noir est monté sur son trône. Les États-Unis sont devenus en 2014 les premiers producteurs de pétrole au monde, d’après le rapport annuel de BP publié mercredi 10 juin. Ils devancent l’Arabie saoudite pour la première fois depuis 1975.
Ce bouleversement du paysage énergétique est essentiellement dû au pétrole de schiste que les États-Unis extraient plus vite que leur ombre, souligne le document de la multinationale britannique. Depuis 2011, le pays de l'Oncle Sam a augmenté sa production d’environ 1 million de barils de brut par jour. En 2014, cette hausse a atteint 1,6 million de barils par jour. L’an passé, la production américaine a atteint 11,64 millions de barils par jour contre 11,5 millions pour l’Arabie saoudite.
Plus de puits de pétrole dans le Colorado que dans tout le Moyen-Orient
La révolution du pétrole et du gaz de schiste a régulièrement défrayé la chronique ces dernières années. Mais que les États-Unis se hissent aussi vite à la première place "n’était pas attendu", note Thomas Porcher, professeur à la Paris School of Business et auteur de "20 idées reçues sur l’énergie".
Il est vrai que les États-Unis se sont donné les moyens de leur pari énergétique. Environ 10 000 puits ont été mis en service depuis 2011 dans le seul État du Dakota du Nord. "Il y a, aujourd’hui, davantage de puits en activité dans le Colorado que dans tout le Moyen-Orient", souligne l’expert français du secteur.
La couronne de roi du pétrole, arrachée à la force de la fracturation hydraulique par les États-Unis, n’est pas que symbolique. "L’effet immédiat a été que le prix du pétrole a été divisé par deux", rappelle Thomas Porcher. Les tarifs du brut sont, en effet, passé de 115 dollars en juin 2014 à environ 60 dollars actuellement.
La faute à l’Arabie saoudite qui, face au schiste triomphant américain, a décidé de jouer la carte de la guerre des prix. L’idée est simple : extraire du pétrole dans le Golfe coûte beaucoup moins cher que développer et investir dans le pétrole non-conventionnel d’Amérique du Nord. Au Moyen-Orient, le baril coûte environ 6 à 7 dollars à produire contre plus de 40 dollars aux États-Unis.
New York interdit la fracturation hydraulique
La stratégie saoudienne a commencé à porter ses fruits. Le département américain de l’Énergie a fait savoir, en mai 2015, que la production de pétrole américain devrait décliner début 2016. Les pays du Golfe peuvent aussi compter sur un autre allié : le temps. "La durée de vie d’un gisement de pétrole de schiste est de cinq ans et 80 % de la production est réalisée dans les deux premières années", explique Thomas Porcher. Les gisements du Golfe peuvent, quant à eux, être exploités pendant 30 ans.
Surtout, la multiplication des puits ne peut pas continuer éternellement. "La population va commencer à manifester sa gêne", reconnaît Thomas Porcher. Il rappelle que plusieurs États ont commencé à limiter les nouveaux forages tandis que celui de New York a même interdit totalement la fracturation hydraulique.
Les États-Unis risquent donc de perdre leur couronne très vite. "C’est le vrai stress-test du secteur : savoir si les producteurs américains vont survivre à la baisse des prix et s’adapter à la situation", juge Thomas Porcher. Les professionnels américains ont, en tout cas, pris la mesure du défi. "Le montant des investissements nécessaires pour exploiter le pétroler de schiste a diminué et il y a eu des gains de productivité", souligne l’expert. L’effort est ainsi mis sur l’innovation technologique qui doit permettre aux puits de durer plus longtemps, produire plus, pour moins cher.
Si l’industrie américaine tient le choc, les changements du paysage énergétique pourraient être plus profonds qu’une simple guerre des prix. Le facteur pétrolier pèserait, en théorie, moins lourd dans les choix diplomatiques américains.
Certains médias américains prétendent même que la voix du cartel des pays producteurs de pétrole est appelée à ne plus peser grand chose. Surtout que la Chine réduit, en parallèle, ses importations de pétrole car Pékin veut davantage miser sur son secteur tertiaire, beaucoup moins gourmand en or noir, que sur son industrie lourde.
Mais cette perte d’influence future est loin d’être un scénario inéluctable pour Riyad. "Le seul pays capable de mettre rapidement sur le marché une grande quantité de pétrole pour faire face à un événement imprévu est l’Arabie saoudite, et c’est ça le vrai pouvoir géopolitique", assure Thomas Porcher. Plus de 50 % des réserves mondiales d’or noir se trouvent dans la région du Golfe.