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Pour lutter contre les jihadistes, reste-t-il des alliés fiables en Syrie ?

Face à la montée des jihadistes de l'EI et du Front al-Nosra, la coalition cherche en Syrie des rebelles modérés sur qui s'appuyer pour les contrer. Mais difficile de faire un choix parmi la multitude de factions souvent islamistes. Analyse.

La coalition contre l’organisation de l’État islamique (EI) aide-t-elle Al-Qaïda en Syrie ? C’est ce que pourrait laisser penser les frappes menées, dimanche 7 juin, dans la province d’Alep, dans le nord de la Syrie. Pour la première fois, la Coalition internationale est intervenue dans une bataille opposant les combattants de l’EI à des groupes rebelles rivaux, dont le Front al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Les raids aériens se sont portés sur la ville d’Aazaz, frontalière de la Turquie, aux dépens des positions de l’EI. Cela faisait déjà une dizaine de jours que les troupes d’Abou Bakr al-Baghdadi tentaient de s’emparer de cette ville frontalière de la Turquie et point d’approvisionnement stratégique en vivres et en armes des combattants anti-Assad.

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Pour certains observateurs, dont l’ l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), cette intervention constitue une rupture avec le mode opératoire de la coalition qui visait jusqu’ici les bastions de l’EI et venait uniquement en appui des forces kurdes aux prises avec les jihadistes. "C'est la première fois que la coalition apporte une aide aérienne à des groupes non kurdes dans leur combat contre l'EI en Syrie", a aussitôt affirmé à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'OSDH, qui va jusqu’à y voir "un soutien indirect à Al-Qaïda".

"Les Américains agissent de manière très pragmatique"

Une interprétation que réfute Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes, et qu’il qualifie "d’inimaginable". Pour lui, il ne s’agit ni d’une aide à Al-Qaïda, ni d’un changement de stratégie de la part de Washington. "Les Américains considèrent l’EI et le Front al-Nosra de la même manière", observe-t-il, rappelant que les premières frappes américaines avaient précisément ciblé le Front al-Nosra, et que les chefs militaires et religieux tués par des frappes de la coalition appartenaient en grande majorité à la branche syrienne d’Al-Qaïda et non à l’EI.

"Les Américains procèdent de manière très pragmatique : là, il s’agissait de freiner l’avancée de l’EI vers le passage d’Aazaz, crucial pour les rebelles syriens regroupés au sein de l’armée de la Conquête, dont fait partie le Front al-Nosra". À n’importe quel prix.

Echecs de la stratégie de la coalition dans le Nord de la Syrie

Car c’est bien le Front al-Nosra qui fait partie de l’armée de la Conquête (qui rassemble de nombreuses factions insurgées) et non l’inverse, affirme le spécialiste de France 24. "On ne peut qualifier les rebelles syriens d’alliés du Front al-Nosra car ils n’ont pas de programme commun, c’est une alliance purement militaire".

Les rebelles modérés, durement éprouvés par quatre ans de guerre et la rivalité des groupes jihadistes, ne sont plus en mesure d’agir seuls. "Le Front al-Nosra apparaît comme nécessaire", observe Thomas Pierret, spécialiste de l'islam contemporain à l'Université d'Edimbourg. S’il reste des brigades de combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) dans le nord du pays (qui combattent sous le drapeau emblème de la Révolution syrienne), on ne leur confie pas les avant-postes dans les batailles les plus récentes, comme celle d’Idleb, le mois dernier.

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La coalition, et les Américains en particulier, ont d’abord misé sur ces groupes qui constituaient les seuls alliés fiables sur le terrain. Mais cette stratégie n’a jamais porté ses fruits et s’est même retournée contre eux : le simple fait d’avoir les faveurs de la coalition a, rapidement, fait de ces combattants modérés des cibles de jihadistes de tous bords.

En témoigne, notamment, le cas de Jamal Maarouf, ex-dirigeant du Front des révolutionnaires syriens (FRS), qui fut un temps l’homme de Washington et de Riyad. D’abord accusé de corruption, ensuite menacé par le Front al-Nosra pour avoir été armé par les Américains, l’ancien chef de guerre du nord de la Syrie se serait réfugié en Turquie avec une partie de ses combattants, tandis que d’autres choisissaient de poursuivre le combat dans les rangs de la faction. La filiale syrienne d’Al-Qaida a continué à faire place nette en délogeant de ses quartiers le groupe d’insurgés Haraket Hazm, un autre groupe rebelle sur lequel Washington pensait pouvoir compter. Des expériences dissuasives pour la coalition, mais aussi pour les groupes d'insurgés.

Reste-t-il des alliés fiables pour la coalition en Syrie ?

Mais alors qui l’occident peut-il soutenir en Syrie, à la fois pour lutter contre l’EI, mais aussi pour faire tomber le régime syrien ? La situation est d’autant plus complexe que les brigades rebelles sont en majorité constituées de combattants qui, sans être jihadistes, n’en sont pas moins des islamistes revendiqués. C’est très souvent le cas dans le nord de la Syrie, mais vrai aussi ailleurs : plus au sud, l’Armée de l’Islam de Zahran Allouche, très active dans la région de Damas, et qui vit grâce à des capitaux saoudiens, ne peut par exemple être qualifiée de modérée.

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La situation est cependant différente dans le sud du pays, souligne Thomas Pierret. La présence de la Jordanie limitrophe est un facteur non négligeable dans le maintien de groupe d’insurgés modérés. Le pouvoir jordanien est selon M. Pierret, "très clairement favorable, avec les États-Unis, aux groupes de type ASL. Contrairement à la Turquie, la Jordanie, qui connaît bien le terrain, notamment grâce à ses services secrets, est plus à même de maitriser la forme que prend l’insurrection".

Il note que la prise, le 9 juin, d’une importante base de l’armée, dite Brigade 52, près de Deraa, est le fait du Front du Sud, un groupe de combattants de l’ASL. Une victoire qui selon lui, montre que ce type de combattants, dans cette zone, peut être considéré comme fiable. De son côté, Wassim Nasr se montre plus sceptique : "Rien ne prouve que la stratégie de la coalition qui a échoué dans le nord, n’échouera pas de nouveau dans le sud".