À travers le parcours d'un skinhead repenti, "Un Français" retrace 30 ans de l'histoire de l’extrême droite française. Précédé d'une controverse alimentée par des personnes ne l'ayant pas vu, le film s'avère une salutaire piqûre de rappel.
Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine, le controversé "Un Français" qui retrace le parcours d'un skinhead repenti et le conte noir "La Belle Promise" de la Palestinienne Suha Arraf.
Longtemps critiqué pour son peu d’empressement à traiter de l’histoire de France la plus récente, le cinéma hexagonal se montre depuis quelques années davantage enclin à se pencher sur un passé immédiat jusqu’alors abandonné au domaine documentaire.
Ainsi, en 2011, alors que Nicolas Sarkozy était encore au pouvoir, sortait en salles "La Conquête", récit - légèrement à charge - de son accession à l’Élysée. On pourrait également citer "Une affaire d’État" qui, en 2009, s’intéressait aux méandres de la Françafrique ou, plus récemment, "L’Enquête" qui s’attaquait à ceux du scandale "Clearstream". Autant de films qui, malgré le caractère sensible de leur sujet, n’ont déchaîné ni les passions ni les réseaux sociaux.
"Un Français", lui, n’a pas eu droit à ce genre de délicatesse. Avant même qu’elle ne soit projetée sur les écrans, cette histoire d’un skinhead repenti s’est retrouvée au centre d’une controverse, alimentée notamment par les réseaux d’extrême droite lui reprochant d’être "anti-français". Son réalisateur, Diastème, et son acteur principal, Alban Lenoir, ont affirmé avoir reçu des menaces, sans en préciser la nature.
Résultat, par peur de débordements, une quarantaine de salles ont refusé d’accueillir le film en avant-première. Et, pour sa sortie, "Un Français" n'est diffusé que dans une soixantaine de salles, au lieu de la centaine initialement prévue. En France, donc, démonter les coups tordus du pouvoir s’avère moins problématique que de retracer l’histoire d’un courant politique ne l’ayant jamais exercé.
Faits réels
Qu’un film suscite le débat, rien que de plus normal. Qu’il fasse l’objet d’une polémique avant qu’il n’ait été vu dans son intégralité est inquiétant. De fait, les détracteurs du long-métrage de Diastème n’ont eu que la bande-annonce pour se forger leur opinion. D’où cet écart d’appréciation ridicule entre, d’un côté, ceux qui pensent avoir affaire à un film de propagande pro-gouvernementale et, de l’autre, ceux qui y voient une apologie de la violence de la droite extrême.
"Un Français" n’est ni l’un ni l’autre. Violent, le film l’est. Caricatural, non. On ne réalise pas un long-métrage sur les skinheads en les montrant beurrer des petits fours. Pour l’écriture de "Un Français", Diastème s’est basé sur des faits réels survenus dans les années 1980, où, de sinistre mémoire, les humiliations infligées aux étrangers (ou supposés tels), les ratonnades et les règlements de comptes entre colleurs d’affiches étaient monnaie courante. Ces actes de violence, le film les montre bruts de décoffrage, sans cette stylisation propre à exercer de la fascination, mais avec cette crudité capable de susciter le dégoût.
La brutalité des skinheads de ces années 1980 atteint un tel niveau de barbarie qu’elle rend même certains d’entre eux littéralement malades. C’est le cas de Marco (Alban Lenoir, impressionnant), jeune banlieusard en proie à d’irrépressibles accès de violence qui, après avoir fait le coup de poing et de batte contre tout ce que lui et ses compagnons de route considèrent comme les ennemis de la France et de la "race blanche" (les Arabes, les juifs, les homosexuels, les communistes…), commence à éprouver une aversion quasi viscérale pour toute forme de violence.
De la violence de la rue à la violence des salons
C’est là la pertinence de "Un Français" que d’exposer la repentance de Marco comme un processus de rejet d’abord physique avant d’être intellectuel - le récit se déroule sur 30 ans. Par ce truchement, Diastème montre comment, au fil des ans, les milieux de la droite extrême sont passés de la violence des quartiers populaires à la violence des salons. Comment certains ultras identitaires ont abandonné le crâne rasé pour la raie bien faite du beau parleur politique, capables d’attirer une foule de journalistes lors de conférences de presse ou d’opérations "soupe populaire pur porc". Mais que ce soit dans la rue ou sur une tribune publique, lors de ratonnades ou dans les défilés de la Manif pour tous, le discours de haine est le même.
En dressant l’arbre généalogique de l’extrême droite française, "Un Français" entend faire pièce à l’entreprise de dédiabolisation menée par le Front national. Ce que montre le film, c’est cette part de l’héritage idéologique que le parti tente de gommer pour gagner en respectabilité. La piqûre de rappel administrée par Diastème a du mal à passer. La campagne d’intimidation, a priori spontanée, qui s’est opérée autour de son long-métrage montre pourtant bien à qui on a affaire.
-"Un Français" de Diastème, avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy... (1h38)