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Trois questions sur la responsabilité du Pakistan

Jean-Luc Racine, directeur de recherche au Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud, estime que New Delhi établit parfaitement la différence entre les Pakistanais liés aux groupes terroristes, et ce qui est du ressort de l’État.

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France 24 : Les premiers éléments de l’enquête, après les attaques de Bombay, évoquent la piste pakistanaise. Quel crédit accordez-vous à ces hypothèses ? 

Jean-Luc Racine : Au tout début des attentats, on pouvait penser à une piste indienne, même si jusqu’à présent les opérations conduites par les "Moudjahidines indiens" étaient d’un autre type, avec des attentats à la bombe dans des marchés ou des gares.

Puis le Premier ministre indien a parlé "d’éléments étrangers". Les soupçons ont commencé à se renforcer quand les premiers éléments de l'enquête ont été rendus publics et qu’on a constaté la sophistication des attaques et l’extrême préparation des terroristes.

Bien sûr, il faut attendre que l’Inde présente un dossier complet et étayé. Mais vu ces premières informations, l’hypothèse d’une implication du groupe des Lashkar-e-Taïba prends du poids, d’autant plus que ce groupe a été impliqué dans de multiples attentats en Inde, notamment celui commis contre le Parlement indien en 2001.

Il faut aussi noter que le gouvernement indien prend garde, tout en parlant de piste pakistanaise, de ne pas mettre en cause le gouvernement d’Islamabad, avec qui il reste en contact. Le groupe des Lashkar-e-Taïba est devenu au fil des années 1990 le groupe armé pakistanais le plus actif dans le djihad. Il est le bras armé du mouvement de prédication le Jamaat-ud-Dawa, qui est présent dans de nombreuses villes du Pakistan. Sans avoir nécessairement un lien direct avec al-Qaïda, des réseaux se croisent, et des convergences idéologiques existent.


France 24 : Les relations entre l’Inde et le Pakistan ont connu une période marquée par une certaine détente, ces derniers mois. Ne craignez-vous pas que ces attentats ne les détériorent à nouveau ?

J.-L. R. : Depuis 2004, l’Inde et le Pakistan sont engagés dans un dialogue qui traite de multiples questions, dont celle du Cachemire. Les négociations sont difficiles, mais se poursuivent, et les relations entre les deux pays se sont améliorées.

Depuis son élection à la présidence du Pakistan, en Septembre 2008, Asif Ali Zardari a affirmé sa volonté de renforcer le dialogue, et il a fait des déclarations mal reçues par les faucons pakistanais. L’une des raisons qui a motivé ces attentats est de compromettre le rapprochement qui commençait à se faire lentement entre les deux pays.

Quant à l’avenir des relations bilatérales, elles dépendront de la réponse que donnera le gouvernement pakistanais le jour où New Delhi lui donnera les conclusions finales de l’enquête.

 
France 24 : Le président Zardari a dit que le Pakistan souffrait lui aussi du terrorisme. D’autres sources évoquent pourtant le rôle indirect qu’auraient pu jouer les services de renseignement de ce pays (ISI) dans ces attentats. Pensez-vous que ISI garde encore la capacité d’agir en sous-main ?

J.-L. R. : Assurément, le Pakistan souffre lui aussi du terrorisme, et de plus en plus. Mais la question est rendue plus complexe par le rôle qu’ont joué les services de renseignement de l’ISI. La question centrale qui préoccupe les responsables indiens est de savoir si, au sein de l’ISI, les liens ont été totalement coupés avec les islamistes ou non. S’ils ne l’ont pas été, à quel niveau se situent-ils ?

Cette question est très sensible car elle touche à la fois aux relations entre Inde et Pakistan, et aux relations entre pouvoir politique civil et armée pakistanaise. L’ISI, en effet, est sous le contrôle de l’armée. Quant aux questions sur l’éventualité d’une guerre entre l’Inde et le Pakistan, il faut être très prudent. Nous n’en sommes pas là.

Il faut d’ailleurs rappeler qu’en 2002, après l’attaque contre le Parlement indien, New Delhi puis Islamabad ont massé leurs troupes le long de leurs frontières. Mais cette tension très sérieuse n’avait pas débouché sur une guerre. La dissuasion nucléaire joue pour partie. La pression internationale aussi, entre autres celle de Washington. L’hypothèse d’un conflit armé reste prématurée.