Après treize ans de règne sans partage, le parti islamo-conservateur AKP du président turc Recep Tayyip Erdogan a perdu sa majorité absolue au Parlement, lors des élections législatives de dimanche.
Vent frais sur le paysage politique turc. Les élections législatives ont été remportées, dimanche 7 juin, par le parti islamo-conservateur AKP, mais ce n'est qu'une victoire en demi-teinte. En effet, la formation du président Recep Tayyip Erdogan, qui règne sans partage sur le pays depuis 2002, a perdu sa majorité absolue au Parlement. Et un nouveau parti va y faire son entrée : le parti kurde HDP.
Selon les résultats définitifs, le Parti de la justice et du développement (AKP) n'a recueilli que 40,7 % des suffrages et 255 sièges de députés sur 550, le contraignant à former un gouvernement de coalition.
Ces chiffres traduisent la "perte de vitesse" du parti dominant, a commenté sur France 24 Tancrède Josserand. Ce spécialiste de la Turquie a identifié plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce recul. "Tout d'abord, l'AKP a pris un virage autoritaire depuis 2011", a-t-il rappelé, évoquant notamment le bâillonnement des médias, la perte de pouvoir de l'armée et la "fusion des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire". "L'image de l'AKP a été ternie par des scandales de corruption", a-t-il ajouté, "et la croissance économique n'est plus au rendez-vous".
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Celui qui a tiré son épingle du jeu, c'est le parti kurde HDP (Parti démocratique du peuple), qui a raflé 12,9 % des voix, passant allègrement la barre des 10 % nécessaires pour être représenté au Parlement. Il obtient ainsi 80 sièges. "Nous avons remporté une grande victoire (...) ceux qui veulent la liberté, la démocratie et la paix ont gagné, ceux qui veulent l'autoritarisme, qui sont arrogants et qui se considèrent comme les seuls détenteurs de la Turquie ont perdu", s'est exclamé le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, lors d'une conférence de presse.
Le HDP comptait jusque là 29 sièges dans l'Assemblée sortante, élus sous l'étiquette indépendante pour contourner le seuil des 10 %. Ces députés n'avaient retrouvé leurs couleurs et formé un groupe qu'une fois en fonction.
Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), obtiennent respectivement 25,1 % et 16,45 % des voix, soit 133 et 82 sièges.
Coalition ou élections anticipées ?
La défaite est sévère pour Recep Tayyip Erdogan, qui avait fait de ce scrutin un référendum autour de sa personne. Premier ministre à poigne pendant onze ans, il avait été élu président en août dernier et vise depuis la présidentialisation du régime et le renforcement de ses pouvoirs. Pour y parvenir, son parti devrait totaliser au moins 330 sièges pour faire passer une réforme de la Constitution.
"Erdogan se trouve face à un grave dilemme, il ne peut plus gouverner seul. La question, c'est avec qui gouverner ?", analyse Tancrède Josserand. Le MHP est sa première option, mais ce parti nationaliste ne ferait aucune concession sur la question des Kurdes. Le CHP offrirait une alliance plus difficile à construire, et serait au contraire beaucoup plus exigeant sur les droits des Kurdes.
Le HDP a quant à lui exclu dès dimanche soir toute alliance avec l'AKP.
Cependant, la correspondante de France 24 en Turquie Fatma Kizilboga a souligné que la réaction des cadres du parti dimanche soir laisse penser que l'AKP n'envisage pas de gouvernement de coalition. "Il va peut-être convoquer des élections anticipées", une option qui pourrait être annoncée dans les prochains jours.
Avec AFP et Reuters