L’opposition au gouvernement macédonien réclame depuis plusieurs jours le départ du Premier ministre Gruevksi, qui refuse toute concession. Pour le chercheur Jacques Rupnik, spécialiste des Balkans, c’est la démocratie du pays qui est en jeu.
Les manifestations se poursuivent jour après jour en Macédoine, où les opposants au gouvernement réclament le départ du Premier ministre Gruevski. Ce dernier est empêtré depuis le mois de février dans un scandale d’écoutes téléphoniques illégales. Or, pour tenter de faire diversion, selon ses opposants, Nikola Gruevski s'est servi des événements des 9 et 10 mai en y apportant une réponse nationaliste. Lors de ces deux journées, des affrontements entre forces de l’ordre et un groupe armé ont eu lieu à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale, Skopje, faisant huit morts et 37 blessés parmi les policiers. Le Premier ministre avait alors affirmé que la police avait déjoué un complot terroriste, 14 membres de ce groupe armé ayant été tués, mais l'Albanie et certains observateurs ont émis des doutes quant à cette version officielle.
Pour le chercheur Jacques Rupnik, spécialiste des Balkans au Centre de recherches internationales de Sciences-Po (Ceri) et auteur du livre "Géopolitique de la démocratisation, Union européenne et ses voisinages", c’est la dérive autoritaire du Premier ministre macédonien qui est aujourd’hui dénoncée. Le chercheur regrette également que Bruxelles n’ait pas avancé ces dernières années sur le dossier de l'adhésion de la Macédoine au sein de l’Union européenne (UE), ce qui a eu pour conséquence, selon lui, de laisser la porte ouverte aux dérives antidémocratiques.
France 24 : Qu’est-ce qui se joue actuellement en Macédoine ?
Jacques Rupnik : C’est la question de l’état de la démocratie dans ce pays des Balkans, une région où la stabilité est une notion récente et fragile. Cette crise est un révélateur du double problème qu’affronte le gouvernement Gruevski. D’une part, la tournure violente des récents événements a fait resurgir le spectre de 2001, qui avait mis à mal l’équilibre du pays. À l’époque, la Macédoine avait été le théâtre d’une insurrection de sa minorité albanaise qui représente un quart de la population. D’autre part, on observe une dérive autoritaire du régime Gruevski. La façon dont le Premier ministre macédonien a utilisé le nationalisme pour renforcer son pouvoir, tout en négligeant, voire en écartant tout dialogue avec l’opposition pose problème, au point que cette dernière refuse désormais de participer aux institutions parlementaires. Quand on arrive à une situation où la majorité et l’opposition ne sont plus en capacité de se parler, c’est très inquiétant.
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Donc les manifestants qui sont dans la rue ne le sont pas seulement en raison du scandale des écoutes téléphoniques ?
Les opposants manifestent car ils considèrent qu’il ne faudrait pas que la question nationale, sur laquelle joue systématiquement le pouvoir de Gruevski, comme après la mort de ces huit policiers il y a dix jours, occulte la question de la démocratie. Aujourd’hui, la confiance est rompue entre le gouvernement et l’opposition. La question est de savoir sous quelles conditions on peut amener tout le monde autour de la table.
C’est justement ce que fait l’Union européenne depuis quelques jours en réunissant Nikola Gruevski et le leader de l’opposition de gauche Zoran Zaev. L’UE a-t-elle raison de s’impliquer ?
Oui, car ce qui se joue aussi, c’est le rôle de l’Europe et l’avenir de la Macédoine au sein de l’Union européenne. Mais malheureusement, la coupable négligence de Bruxelles ces dernières années donne les résultats que l’on voit aujourd’hui. L’UE ne s’est pas beaucoup occupée de la candidature de la Macédoine alors que ce pays a obtenu le statut de pays candidat il y a maintenant dix ans. L’absence de perspectives européennes a donné la possibilité à Nikola Gruevski d’abuser de son pouvoir. Lorsqu’un pays est candidat, il y a une forme d’auto-limitation qui s’exerce dans les éventuelles dérives antidémocratiques, notamment parce que le gouvernement se concentre sur les réformes nécessaires pour entrer dans l’UE. Or, non seulement la situation de la Macédoine n’a pas du tout évolué depuis dix ans, mais en plus, Bruxelles accepte qu’un pays membre, en l’occurrence la Grèce, impose son veto à son entrée dans l’UE en raison du nom de ce pays, "Macédoine". Tout cela en dit long sur l’intérêt porté par l’Union européenne ces dernières années pour la Macédoine.
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Certains parlent déjà d’un possible nouveau Maïdan. Qu’en pensez-vous ?
Quand un pouvoir devient autiste et qu’il est incapable de dialoguer avec l’opposition au Parlement, il finit par provoquer une contestation dans la rue. Si l’UE peut faire quelque chose d’utile, c’est d’amener tout le monde à négocier les termes d’une sortie de crise, en créant peut-être les conditions d’une élection anticipée.
Le Premier ministre a pourtant remporté les dernières élections législatives il y a à peine un an. Y avait-il eu des irrégularités ?
L’accès au bureau de vote était libre, mais la campagne s’était déroulée dans des conditions contestables et contestées. Le pouvoir s’est attribué un avantage déloyal en occupant la scène médiatique. Il a également eu recours à l’intimidation d’opposants. Et surtout, Nikola Gruevski a gagné les élections sur un discours et un projet nationalistes. C’est quelque chose de préoccupant car lors de son arrivée au pouvoir en 2006, il se présentait comme un réformateur. Tout ça a été oublié visiblement. On construit aujourd’hui pour la cause nationale des monuments à la gloire du passé réel ou fictif de la Macédoine. C’est d’autant plus facile pour le pouvoir en place qu’il peut jouer sur la polarisation de la population avec les albanophones, ainsi que sur le veto grec contre son entrée dans l’UE et le nom de Macédoine.