Festival de Cannes, quatrième jour. Où l'on peine à s'expliquer comment Gus Van Sant a pu tomber si bas. Et l'on reste de marbre devant le premier passage derrière la caméra de Natalie Portman.
Le cru 2015 du Festival de Cannes n’a que quatre jours qu’il en paraît déjà avoir duré douze. Ce n’est pas que l’on trouve le temps long, mais la rapidité avec laquelle les petits "événements" cannois se succèdent donne toujours l’impression qu’une journée en dure trois. Pas une heure ne se passe sans qu’une vedette n’alimente, volontairement ou non, le bruit médiatique. Et vienne chambouler notre perception de l’actualité, la moindre petite phrase lâchée en interview semblant tout à coup revêtir la même importance que la condamnation à mort d’un ancien chef de l’État égyptien.
Tout a commencé avec le presque coming-out de la fantastique Cate Blanchett. À la faveur d’une interview au magazine américaine "Variety", la star australienne a confessé avoir entretenu, dans un passé lointain, plusieurs amourettes avec des femmes. Des révélations qui tombent à point nommé, puisque l’actrice australienne viendra défendre, dimanche sur la Croisette, "Carol", le film de Todd Haynes dans lequel elle incarne une riche New-Yorkaise s’amourachant d’une jeune employée d’un grand magasin (Rooney Mara). C’est ce qu’on appelle un plan média efficace.
"Dunkerquegate" et la culotte de Sophie Marceau
Rien de scandaleux par rapport à ce qu'il serait convenu de nommer le "Dunkerquegate", du nom de cette ville portuaire du nord de la France dont Catherine Deneuve, alors en promo pour le film "La Tête haute", a réduit la devise en une peu reluisante trinité : "tristesse, cigarettes et alcool". Trois mots, et la polémique aux relents de "France d’en haut contre la France d’en bas" était lancée. Mais pour qui se prend-elle, celle-là ? Et bien, pour Catherine Deneuve, non ?
Puis vint le sombre scandale éclaboussant Sophie Marceau qui, décidemment, n’en loupe pas une sur la Croisette. Honte, déshonneur, infamie : l’actrice française, et accessoirement membre du jury, a montré sa culotte sur le tapis rouge. L’affaire est en fait plus complexe qu’elle n’y paraît, nous apprendront plus tard les médias anglo-saxons. Non, Sophie Marceau n’a pas impudiquement exhibé son sous-vêtement couleur chair, mais a été victime – attention, c’est technique – , d’une "wardrobe malfunction", comprendre un "dysfonctionnement de sa garde-robe". Un malentendu est si vite arrivé.
Quand Gus Van Sant fait du Disney
Côté cinéma, les choses ont mis davantage de temps à se gâter. Après un début de Festival d’assez bonne tenue, la critique, qui trépignait d’impatience, a pu enfin déverser son fiel sur les premiers gros ratages de la quinzaine. Commençons par le naufrage le plus inattendu : le palmé Gus Van Sant et sa "Forêt des songes", par deux fois hués en projection presse. "Verbeux", "risible", "affreux"… Les réseaux sociaux n’y sont pas allés avec le dos du tweet.
Alors qu’est-ce qui ne va pas avec "le dernier Gus Van Sant" ? À peu près tout. Le scénario d’abord, qui semble avoir été pioché dans un roman psycho-dramatique de gare routière. Scientifique pointu mais en mal de reconnaissance, Arthur Brennan, alias Matthew McConaughey, file au Japon afin de mettre fin à ses jours dans une forêt réputée pour accueillir les candidats au suicide. Mais alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable, sa route croise celle d’un Japonais mal en point (Watanabe Ken) qui, au gré d’assommantes conversations, va lui redonner goût à la vie.
La suite est à l’avenant, qui enchaîne dialogues on ne peut plus cruches ("Je ne veux pas mourir, mais je ne veux pas vivre"), flashbacks ronflants sur fond de cancer et de disputes conjugales, symbolisme nipponisant de bas étage sur la force des esprits (du vent, des arbres, du vent dans les arbres)… Tout oscarisé qu’il est, le pauvre Matthew McConaughey ne peut pas faire grand-chose pour sauver quoique ce soit de ce Walt Disney pour post-adolescent. C’est moche, pareil gâchis.
On sait l’auteur des magnifiques "Elephant" et "Gerry" capable de commettre des films grand public convenus mais toujours convenables. Pareille sortie de route demeure donc un mystère. Ce ratage est d’autant plus dommageable que la présence des films américains a été réduite, cette année, à la portion congrue. Ce qui ne laisse pas d’interroger sur la capacité de l’industrie hollywoodienne à maintenir un cinéma d’auteur hors des circuits indépendants.
Le cinéma sans cinéma de Natalie Portman
Le film "Une histoire d’amour et de ténèbres", signé de la comédienne – et désormais cinéaste – Natalie Portman témoigne d'un autre mal qui touche le septième art : celui qui consiste à confier à des acteurs ou actrices de renommée internationale la réalisation d’ambitieux projets, dans l’espoir que leurs seuls noms suffiront à gonfler le box-office.
Présenté hors compétition mais en sélection officielle (dans le cadre des "séances spéciales"), le premier long métrage de Natalie Portman en tant que réalisatrice doit son nom au roman autobiographique de l’Israélien Amos Oz, dont il est l’adaptation fidèle. Trop fidèle même, à en juger par cette manière dont ce film historique retraçant les premières heures de l’État d’Israël s’emploie à rappeler systématiquement son héritage littéraire. Pas un plan sans qu’un livre ne soit montré. Pas une scène que la voix off d’un vieil homme censé représenter Amos Oz ne vienne hanter.
En gros, "Une histoire d’amour et de ténèbres" s’apparente à un film d’étudiant en Lettres dont l’amour des mots est tel qu’il évacue toute intention de cinéma. Soucieuse de ne rien trahir du livre d’origine, Natalie Portman n’a à offrir qu’un film illustratif et sans relief, qui se borne à mettre un texte en images. Polyglotte, l’actrice-réalisatrice israélo-américaine, qui incarne elle-même la mère d’Amos Oz à l’écran, l’a dit, l’a répété : elle voue une fascination à l’hébreu, l’idiome de son enfance avec lequel elle a décidé de tourner. "C’est la langue la plus magique que je connaisse", a-t-elle confié au "Monde Magazine". Peut-être la croyait-elle suffisamment puissante pour se passer d’une mise en scène.