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Cinq questions sur l’ordre de succession en Arabie saoudite

Pour la première fois, un prince hériter saoudien doit laisser sa place de son vivant. Moqren ne succédera pas au roi Salmane qui lui a préféré son neveu, Mohammed ben Nayef. France 24 revient sur les enjeux de cette décision.

Un prince héritier saoudien remplacé, ce n’était jamais arrivé depuis la création du royaume saoudien en 1932. C’est pourtant ce qui est arrivé mercredi 29 avril. Désigné héritier le 27 mars 2014 par le roi Abdallah, décédé en janvier, le prince Moqren a laissé sa place dans la ligne de succession à Mohammed ben Nayef, ministre de l’Intérieur. Celui-ci, neveu du roi Salmane, devrait donc lui succéder un jour et, après lui, Mohammed ben Salmane. Ce dernier, fils de l’actuel souverain, a en effet au même moment été nommé vice-prince héritier, donc deuxième dans l’ordre de succession.

Mais la succession n’est-elle pas déterminée automatiquement ? La nomination d’un prince héritier n’est-elle pas censée être définitive ? France 24 fait le point sur les enjeux de pouvoir au cœur de la dynastie saoudienne.

  • Qui est Mohammed ben Nayef, le nouveau prince héritier ?

Né en 1959, c’est avant tout un membre éminent de la famille royale saoudienne. Il est le neveu du roi Salmane par son père, Nayef ben Abdelaziz Al Saoud. Il occupe aussi la position de ministre de l’Intérieur depuis 2012, ce qui en fait l’un des membres de la famille royale les plus influents. "Depuis son arrivée à l’Intérieur, son ascension était inévitable", juge Nabil Mouline, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Arabie saoudite. Ce ministère représente en effet une position de pouvoir stratégique dans un État "au pouvoir autoritaire et où le ministère de l’Intérieur est le premier employeur du pays". À ce poste, il s’est d’ailleurs illustré dans la lutte contre Al-Qaïda, dont un membre a tenté de l’assassiner en août 2009. Il était enfin jusqu’à hier vice-prince héritier, nommé par le roi Salmane lors de son accession au trône le 23 janvier 2015.

  • Pourquoi remplace-t-il Moqren dans la ligne de succession ?

Si Moqren était décédé, ou s’il avait librement décidé de se rétracter, Mohammed ben Nayef lui aurait succédé de façon automatique. Riyad va dans ce sens, en indiquant dans un communiqué : "Nous avons décidé d'accepter sa demande (celle de Moqren, NDLR) d'être relevé de sa fonction de prince héritier." Mais selon les analystes, Moqren a été poussé vers la sortie par Salmane. Rien d’étonnant pour Antoine Sfeir, politologue spécialiste du Moyen-Orient. "Lorsque Salmane est devenu roi, Moqren lui a juré allégeance. Ensuite, le roi est roi. Il a sans doute demandé à Moqren de laisser sa place mais cela doit rester à l’intérieur de la famille. C’est comme lorsque Fayçal a renversé son père Saoud (Abdelaziz Al Saoud, le premier souverain saoudien, NDLR) : on a dit qu’il voulait se retirer au Caire pour des raisons de santé."

  • Comment la succession est-elle censée se dérouler à la tête du royaume saoudien ?

Le système de succession saoudien est adelphique : ce sont les frères qui prennent le relais, contrairement aux monarchies européennes, où les enfants mâles succèdent aux souverains. Par contre, la succession n’est pas linéaire, loin de là. Ce n’est pas forcément le frère le plus âgé qui est couronné mais "le plus fort, le plus influent qui finit par l’emporter, peu importe l’âge", explique Nabil Mouline. Et d'ajouter : "Salmane était le plus puissant, c’est comme cela qu’il s’est imposé face à quelques frères plus âgés encore en vie." Il est le 25e fils sur les 45 rejetons mâles du premier roi de l'Arabie saoudite moderne, Abdelaziz.

  • Pourquoi Salmane a-t-il nommé Mohammed ben Nayef à la place de Moqren ?

"Moqren avait été nommé par Abdallah pour faire barrage aux Soudayri, les sept fils qu’Abdelaziz Al Saoud a eu avec l’une de ses femmes, Hassa Al Soudayri, précise Nabil Mouline. Ils forment une faction puissante au sein de la famille royale et Abdallah voulait éviter qu’ils monopolisent le pouvoir. Maintenant que c’est le cas, que que tous les ministères sont aux mains de proches des Soudayri, Moqren n’a plus de raison d’être."

"Salmane permet l’émergence de la nouvelle génération", ajoute Antoine Sfeir. Si l’ordre de succession est respecté, le prochain roi sera en effet forcément l’un des petits-fils du fondateur du royaume. Un regain de jeunesse bienvenu alors que l’Arabie saoudite doit affirmer sa politique extérieure, comme elle le fait au Yémen. Sa rivalité avec l’Iran a en effet récemment atteint des sommets.

  • Pourquoi Salmane n'a-t-il pas fait de son fils son premier successeur ?

Il ne le pouvait pas. Le fils que le roi Salmane veut voir lui succéder est Mohammed ben Salmane et n'a que 36 ans. Le jeune prince n’a donc pas l’expérience ni le prestige nécessaire pour accéder au trône lorsque son père, âgé de 79 ans, ne sera plus. "Il doit encore faire ses preuves, appuie Nabil Mouline. Il aura le temps de le faire pendant le règne de son cousin, qui lui est très populaire et dispose de soutiens très loyaux au ministère de l’Intérieur."