
Un programme informatique, mis au point aux États-Unis, est censé pouvoir effectuer des tâches traditionnellement dévolues aux dirigeants d’entreprise. Mais iCEO n’est pas encore le premier robot capable de prendre seul les rênes d’une société.
Tremblez, patrons du CAC 40, les robots arrivent ! Devin Fidler, l’un des responsables du think tank américain Institute for the Future, a mis au point un programme informatique, baptisé iCEO, qui veut devenir manager à la place du manager.
Se pourrait-il que le prochain Steve Jobs ou Bernard Arnault soit une intelligence artificielle ? La solution iCEO, dévoilée dans un article paru dans "Harvard Business Review" lundi 21 avril, a réussi un premier test en ce sens, d’après Devin Fidler. Ce programme a mené à bien une mission d'encadrement en moins de temps qu’il n’en faudrait à un patron en chair et en os pour dire "ouf".
iCEO plus rapide et tout aussi efficace que le patron humain
En guise de test, l’institut a demandé à cette intelligence artificielle de réaliser une étude pour une société du Fortune 50. Et iCEO s’est occupé de tout : recruter le personnel, attribuer les tâches de recherche d’informations, de vérification et de rédaction. "Nous avons été sidérés par la qualité du résultat et la vitesse à laquelle le travail a été fait", souligne Devin Fidler. Le patron désincarné a mené la tâche à bien en "quelques semaines alors qu’un employeur humain aurait pris plusieurs mois pour tout faire", poursuit-il.
Plus rapide et tout aussi efficace que son alter ego humain, iCEO sait donc donner les bons ordres aux bonnes personnes. De quoi bousculer les idées reçues sur la robotisation et l’automatisation du monde du travail. Jusqu’à récemment, les seuls emplois menacés par les machines semblaient être ceux qui sont répétitifs et en bas de pyramide hiérachique. Pas de quoi inquiéter les PDG du monde entier.
Dès 2013, pourtant, deux chercheurs britanniques spécialistes des questions de technologie et d’emploi avaient démontré dans un rapport que 47 % des emplois aux États-Unis étaient à risque. Les tâches de vente ou de service à la personne, par exemple, seraient dorénavant à la portée du premier robot venu, grâce aux avancées dans la recherche sur l’intelligence artificielle et au "big data". Les machines seraient prêtes à effectuer des tâches plus créatives que le pur travail de précision en usine.
Ces mêmes scientifiques jugeaient que les postes de direction étaient parmi les moins en danger. "Notre analyse, mise à jour en 2014, démontre que 82,8 % du ‘management des sociétés’ sont peu concernés par cette situation", assure à France 24 Michael A. Osborne, chercheur en intelligence artificielle à l’université d’Oxford et co-auteur du rapport.
iCEO aurait fait échouer Apple
Le logiciel iCEO n'arrive donc pas encore à la cheville de Bill Gates. "Tout ce que l’article démontre, c’est que ce programme sait orchestrer et coordonner le travail humain", souligne auprès de France 24 Emmanouil Gkeredakis, professeur associé et spécialiste des systèmes d’information et du processus décisionnaire en entreprise à la Warwick Business School. Il rappelle que ce n’est qu’un aspect très particulier du travail de tout PDG.
"Tout au plus, iCEO peut-il permettre aux responsables de se décharger d’une partie de leurs tâches pour se concentrer sur le reste", explique-t-il. Le reste étant l’aspect plus "créatif" du travail de dirigeant. "Les machines ne savent pas encore prendre en compte le contexte affectif, humain ou même de politique de l’entreprise lorsqu’elles prennent une décision et ne perçoivent les choses qu’en fonction de critères objectifs", rappelle ce spécialiste. "Ce sont pourtant des éléments importants pour tout dirigeant", souligne-t-il. Plusieurs travaux ont été menés ces dernières années pour développer l’"intelligence sociale" des robots mais les résultats ne sont pas encore concluants, notent les auteurs du rapport de 2013 sur les emplois menacés par l’automatisation.
Pour résumer, "ce qui ne peut être codifié en algorithme n’est pas à la portée de l’intelligence artificielle, et savoir motiver les troupes, par exemple, ne peut être traduit en code", assure Emmanouil Gkeredakis. En d’autres termes, iCEO n’aurait jamais réussi à pousser les employés d’Apple à se donner à fond pour créer l’iPod puis l’iPhone. Et la marque à la pomme n’aurait probablement pas connu sa résurrection miraculeuse qui a fait entrer Steve Jobs au panthéon des chefs d’entreprise les plus admirés.
Mais ce qui ne peut être codifié aujourd’hui le sera peut-être demain, reconnaît Emmanouil Gkeredakis. Après tout, il était inimaginable il y a encore quelques dizaines d’années qu’un robot puisse faire le travail d’un ouvrier spécialisé. Il en est capable aujourd’hui. Mais même si les machines arriveront un jour faire tout ce qu’un dirigeant d’entreprise sait faire, reste à savoir si l’employé humain acceptera de recevoir des ordres d’une intelligence artificielle. Et si les grands patrons renonceront sans coup férir à leur parachute doré et autres bonus mirobolants.