
À la veille de l’examen au Sénat de la refonte du droit d’asile, les conclusions de la Cour des comptes sur une politique "au bord de l’embolie" qui coûte trop cher risquent, pour les associations, de transformer le débat en chasse aux économies.
Les débats parlementaires autour de la réforme en France du droit d’asile doivent débuter au Sénat, mercredi 15 avril, et risquent de tourner autour des questions d’argent. Plus précisément autour de deux milliards d’euros. Un chiffre choc en cette période de disette budgétaire.
Cette somme correspond au poids financier du droit d’asile, d’après un rapport confidentiel de la Cour des comptes dont "Le Figaro" a publié quelques extraits, lundi 13 avril. Pour ces grands argentiers, la politique française en la matière est "au bord de l’embolie".
La hausse du nombre de dossiers déposés - qui a doublé depuis 2007 pour passer à 64 811 en 2014 -, tout comme l’allongement des procédures expliqueraient cette explosion des coûts qui affole la Cour des comptes, d’après "Le Figaro".
Deux milliards d’euros ou 700 millions d’euros ?
Pour les associations au contact des demandeurs d’asile, cette obsession comptable préfigure mal des débats à venir. D’abord parce qu’elles contestent une "présentation caricaturale du dossier", assure à France 24 Pierre Henry, directeur général de l’association France terre d’asile.
L’estimation du coût rapportée par "Le Figaro" serait fallacieuse. Les deux milliards d’euros prennent en compte le coût d’un demandeur d’asile et celui des personnes qui ont été déboutées, donc de leur expulsion du territoire. "Alors que ce n’est pas une question de droit d’asile, mais d’éloignement d’étranger en situation irrégulière, ce qui n’est pas la même chose", assure Pierre Henry. Il préfère s’en référer à la loi de Finances qui a fixé un budget de 700 millions d’euros pour la politique d’asile. "C’est environ 1/500e du budget de la France [373 milliards d’euros en 2015, NDLR], et c’est proportionnellement moins que les sommes mises sur la table par la Belgique, les Pays-Bas ou l’Allemagne", assure Pierre Henry.
Mais la bataille des chiffres n’est pas la seule chose qui dérange les associations. "On peut s’interroger sur le fait que ce rapport fuite à deux jours de l’examen du texte au Sénat", souligne ainsi, à "Libération", Eve Shahshahani, responsable des programmes "asile" pour l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). Les révélations donnent clairement l’impression que la France n’a pas ou plus les moyens d’une réforme ambitieuse de son droit d’asile.
"Jeter des extraits d’un rapport confidentiel en pâture aux médias à un moment où on a une approche populiste de tous les sujets tue dans l’œuf tout débat serein autour du projet de réforme présenté", confirme Pierre Henry.
Le risque d’une réforme inapplicable
Le président de France terre d'asile regrette d’autant plus la tournure prise par le débat qu’il estime que "sur le papier, la réforme proposée est plutôt bonne". "Le raccourcissement des délais de procédure, l’amélioration de la qualité de réponse de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), des garanties supplémentaires demandées aux demandeurs d’asile et l’introduction de la notion de logement pour tous sont des objectifs tout à fait corrects", estime-t-il.
Les sénateurs auraient pu, sans le parasitage du rapport de la Cour des comptes, s’atteler à résoudre les problèmes qui subsistent aux yeux du monde associatif. La Coordination française pour le droit d’asile dispose d’un document très complet qui détaille les changements à apporter à un texte "teinté d’humanisme qui masque mal une politique du chiffre inavouée [visant à réduire le nombre de demandeurs d'asile, NDLR]".
Dorénavant, les parlementaires seront tentés de traquer uniquement les économies à faire. Ce qui serait totalement contre-productif, d’après Pierre Henry. Pour lui, le principal souci est que le texte, aussi bon soit-il, risque "d’être en décalage complet avec son application, faute de moyens". Alors que la Cour des comptes assure que la France n’a plus les moyens de sa politique d’asile, le président de l'ONG soutient, au contraire, que le pays doit se les donner pour la réformer efficacement. Il estime qu’"avec 100 à 200 millions d’euros supplémentaires, il serait possible de faire une bonne loi".