Avec la prise du quartier de Yarmouk à Damas le 3 avril dernier par l'EI, quelques jours seulement après celle de la ville d'Idleb par le Front al-Nosra, le régime syrien voit ses défaites s'accumuler. Décryptage.
Le vent semble avoir tourné pour Bachar al-Assad. Alors qu'il était en position de force il y a quelque mois encore, son armée a tout récemment essuyé une série de revers. Et pas des moindres.
Le 3 avril dernier, l'organisation de l'État islamique (EI) est entrée dans le quartier de Yarmouk à Damas et en contrôle depuis la majorité. Le 1er avril, le régime a perdu le dernier point de passage qu'il contrôlait avec la Jordanie, éliminant de facto sa présence sur cette frontière. Dans le nord-ouest de la Syrie, le Front al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda, s'est emparé le 28 mars de la ville d'Idleb, faisant perdre au pouvoir sa deuxième capitale provinciale après la ville de Raqqa, fief de l'EI. Enfin dans le sud du pays, le régime a perdu le 25 mars la ville antique de Bosra al-Cham.
Sans compter que l'EI tente également de gagner du terrain du côté de Hama en menaçant la ville de Salamiyeh, place forte du régime dans la région. L'organisation jihadiste a d'ailleurs perpétré la semaine dernière un massacre dans un village voisin à majorité chiite. À Hama, c'est la zone que le régime s'est employé durant de longs mois à sécuriser qui est directement menacée : le fameux axe qui relie Damas au littoral alaouite en passant par Homs et Hama. Or, sa préservation garantit au régime deux choses essentielles : l'approvisionnement de la capitale, cœur du pouvoir, et la sécurité des zones pro-régime.
L'armée syrienne à bout de souffle
De quoi susciter des interrogations, voire des inquiétudes chez certains, si l'on en juge les efforts déployés par Hassan Nasrallah, leader du mouvement chiite libanais Hezbollah, allié indéfectible d'Assad, pour rassurer sur l'état des forces du régime syrien. "La perte d'un village ou d'une ville ne constitue pas un changement radical dans la bataille en Syrie (...) Les régions, qui sont toujours sous contrôle du régime, sont les plus grandes et la majorité du peuple syrien est toujours avec l'État", a ainsi assuré le leader chiite lors d'une interview accordée à la chaîne officielle syrienne Ikhbariya.
"Après plus d'un an d'avancées, l'armée syrienne marque clairement le pas", confirme à France 24 Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO). Un recul qui peut être expliqué par plusieurs facteurs. Et en premier lieu, la saison : comme chaque année, le printemps est favorable aux rebelles avec leur stratégie de guérilla, rendant leurs mouvements plus aisés et amenant un plus grand afflux d’hommes et d’armes.
"Mais ces revers successifs, des pertes symboliques, montrent surtout que l'armée syrienne s’essouffle, et ce principalement car elle manque de troupes fraîches. Les défaites portent en plus un coup dur au moral des hommes", observe également le chercheur, qui souligne à quel point il est devenu difficile pour le régime de mobiliser des hommes au bout de quatre ans d'un conflit qui s'enlise.
Il rappelle que ce manque de moyens humains n'est pas nouveau et est en grande partie à l'origine de l’échec du régime à reprendre Alep. "Le régime syrien pensait reprendre Alep comme il avait repris Homs, notamment par l'encerclement. Mais début février, l’armée tentait de verrouiller la route vers la Turquie, or les hommes mobilisés n'étaient ni assez motivés ni expérimentés et n'ont pas réussi à fermer cette voie", explique-t-il.
Du côté adverse, au contraire, on ne manque pas d'hommes. Et selon Fabrice Balanche, les succès de la rébellion peuvent également s'expliquer par le fait que le Front al-Nosra a réussi à fédérer autour de lui de nombreux groupes rebelles et parvient à mener des offensives coordonnées. Alors qu’il y a quelques mois encore le régime était en position de force, aujourd’hui, c’est la branche syrienne d’Al-Qaïda qui domine dans le conflit opposant le régime syrien aux divers groupes armés.
La Syrie, une nouvelle fois tributaire des enjeux régionaux
Il relève que de surcroît les forces du régime à Alep n’étaient pas épaulées par les hommes du Hezbollah, qui avait précisément joué un rôle de taille dans les victoires du mont Qalamoun et de Homs et sa région. "Cela montre à quel point le régime est dépendant de ses alliés, Hezbollah, Iran, milices chiites irakiennes, et pour tout", relève Fabrice Balanche, qui pense que Damas pourrait, au vu de la situation, abandonner l’idée de reconquérir les territoires perdus, ce qui mènerait de facto à une partition du pays.
Alors est-ce à dire que les alliés d'Assad l'ont abandonné ? Dans le nord du pays, à Alep ou Idleb, le Hezbollah n’a de toute façon pas l’intention de s’impliquer, car les frontières du Liban ne sont pas directement menacées. Mais pour Fabrice Balanche, si le régime est en mauvaise posture, c’est également parce que "l'Iran, occupé par les négociations sur son programme nucléaire avec les Occidentaux, fait profil bas sur la Syrie". Selon le chercheur, une fois l'accord éventuel entériné fin juin, il est probable que Téhéran s'attèle à soutenir le régime d'Assad, qu'elle n'abandonnera pas.
En outre, la conjoncture dans la région, où Riyad mène une campagne aérienne contre les rebelles chiites houthis appuyés par l'Iran, est défavorable au régime. L'Arabie saoudite et ses alliés interviennent militairement au Yémen pour freiner l’avancée de l’Iran. En Syrie, ils veulent également changer la donne, après les revers subis pas les rebelles qu’ils soutiennent. Selon Noah Bonsey, analyste à l'International Crisis Group, cité par l’AFP, "l'aide de ces pays, appuyés par les États-Unis, est désormais plus efficace et plus substantielle".
Changer l'équilibre des forces en Syrie peut également avoir pour but de mettre la pression sur le régime de Bachar al-Assad, qui refuse toute concession dans les négociations sur une éventuelle issue politique au conflit. C’est l’avis de Khattar Abou Diab, professeur de sciences politiques à l'université Paris-Sud. "Les batailles actuelles ne visent pas à faire chuter le régime militairement, mais à lui mettre la pression afin qu'il accepte de négocier", estime-t-il. Pour les pays arabes pro-opposition, "sans changement d'équilibre de forces, il n'y aura pas d'accord politique", ajoute cet expert.